Se réconcilier avec Balzac
Dites-moi qui d'entre nous n'a pas au fond de son âme un vieux préjugé contre ce bon vieux Balzac ? Ce classique des classiques dont tout le monde connaît le nom mais que plus personne ne lit, si l'on excepte ces pauvres lycéens qui s'y collent souvent à contrecœur parce que le professeur le leur a demandé. Moi-même j'avais été obligée de lire en seconde Illusions perdues, lecture longue et fastidieuse dont je garde un mauvais souvenir, et qui m'a laissé un tel traumatisme qu'il m'aura fallu dix ans pour m'en remettre.
C'est avec appréhension que je me suis lancée dans la lecture du Père Goriot, ayant en tête encore tous les a priori qu'on peut avoir sur Balzac : description, description, description... Et pourtant non, ce n'est pas du tout ça. Si le livre s'ouvre sur une longue description de la pension dans laquelle vivent les personnages, ce n'est que pour planter le décor d'une action qui une fois lancée ne décevra pas le lecteur. On voit que Balzac maîtrise totalement son récit et sait parfaitement jouer avec les attentes du lecteur. Il ne s'efface jamais complètement de l'histoire et apporte par petites touches subtiles son regard ironique sur la société et sur la vie parisienne à son époque.
Il fait vivre des personnages à la fois individuels et universels, accomplissant ainsi la destinée littéraire qu'il a lui-même choisie. Toujours ironique mais jamais cynique, on sent la tendresse de l'auteur pour ses personnages qui attirent du même coup facilement la compassion du lecteur : on est sensible à la douleur du Père Goriot, figure emblématique du père qui a tout sacrifié pour ses filles, tout comme au désarroi de Rastignac, cet étudiant ambitieux qui délaisse son droit pour l'amour d'une femme et son désir ardent de gravir les échelons de la société. Balzac ne peint pas des types de personnages mais de vrais individus, des âmes en proie à leurs propres contradictions auxquelles on peut encore s'identifier aujourd'hui.
Je ne suis donc pas déçue par cette lecture et ne m'y suis pas le moins du monde ennuyée, je le conseille à tous ceux qui veulent se réconcilier avec Balzac et à tous ceux qui ont encore peur de le découvrir. Soyez patients pendant les trente premières pages, le sens du romanesque de Balzac ne vous décevra pas par la suite.