Dans tous les sens
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« Noël 1951. Nous sommes le dimanche 23 décembre à Dijon. Sur le parvis de la cathédrale on brûle un Père Noël. […] Claude Lévi-Strauss découvre ce fait divers dans la presse et s’en empare pour écrire un texte devenu depuis un classique. » N’imaginez pas, sur la foi de ce texte de présentation, que le Père Noël supplicié soit une analyse au sens strict de cet épisode (survivance de l’autodafé, contexte culturel de la province sous la Quatrième République, etc.). Il s’agit plutôt pour Lévi-Strauss de proposer une analyse de la fête de Noël telle qu’on la pratique dans la société française de l’immédiat après-guerre. Les réactions et autres réflexions qui furent celles de la presse de l’époque sont rapidement évacuées : « il ne s’agit pas de justifier les raisons pour lesquelles le Père Noël plaît aux enfants, mais bien celles qui ont poussé les adultes à l’inventer » (p. 16-17).
En d’autres termes, le Père Noël supplicié analyse « une expérience de diffusion, pas très différente sans doute de ces phénomènes archaïques que nous étions habitués à étudier d’après les lointains exemples du briquet à piston ou de la pirogue à balancier. Mais il est plus facile et plus difficile à la fois de raisonner sur des faits qui se déroulent sous nos yeux et dont notre propre société est le théâtre » (p. 20-21). (C’est ce que j’aime bien avec les bons livres – et certains mauvais – de sciences humaines : il suffit de les citer pour expliquer leur démarche.)
C’est ainsi que le personnage du Père Noël sera – à ma connaissance pour la première fois – analysé en termes anthropologiques : « Ce n’est pas un être mythique, car il n’y a pas de mythe qui rende de son origine et de ses fonctions ; et ce n’est pas non plus un personnage de légende puisque aucun récit semi-historique ne lui est attaché. […] C’est la divinité d’une classe d’âge de notre société (classe d’âge que la croyance au père Noël suffit d’ailleurs à caractériser) » (p. 30-31)
Mais le propos est aussi rigoureux que s’il avait porté sur les Nambikwara ou les Hopis. D’ailleurs il porte en partie sur les Hopis et sur leur pratique des katchinas, rituels que Lévi-Strauss compare à notre rituel de Noël. On retrouve cette rigueur, par exemple, dans l’incitation à « se défier des explications trop faciles par appel automatique aux “vestiges” et aux “survivances” » (p. 27). Et comme la suite est convaincante, on veut bien le croire lorsqu’il affirme qu’« En fait, depuis l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge, les “fêtes de décembre” offrent les mêmes caractères » (p. 43).
Allez une dernière pour la route, parce que c’est Noël : « l’Église n’a certainement pas tort quand elle dénonce, dans la croyance au Père Noël, le bastion le plus solide, et l’un des foyers les plus actifs du paganisme chez l’homme moderne. Reste à savoir si l’homme moderne ne peut pas défendre lui aussi ses droits d’être païen » (p. 56).
Créée
le 25 déc. 2016
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