Je ne connaissais pas spécialement Max Gallo, et je choisis son livre un peu par hasard, tant mon seul objectif était de lire un livre fourni et détaillé sur la Révolution Française, période suscitant de nombreux fantasmes d'autant plus qu'elle est de plus en plus sujette à cautions. Cette période décriée fut longtemps ce qui représentait une des fiertés françaises, notamment plutôt de gauche, et aujourd'hui de nouveaux préjugés sur la question semblent poindre le bout de leur nez et envahir l'espace intellectuel : Louis XVI était un gentil garçon malheureux et persécuté, Marie-Antoinette une sainte, les Girondins de grands démocrates, les Montagnards des salauds inventeurs du terrorisme, Robespierre l'ancêtre d'Hitler et le peuple des provinces grand soutien de l'Ancien Régime contre les hystériques Sans-Culottes. Ces clichés maintes et maintes fois relayés dans les médias semblent à la lecture de ce livre à la fois être en grande partie détruits, bien que pas non plus dénués de tout fondement et de toute vérité. Regarder cette période historique avec des yeux neutres est quasiment impossible, et d'ailleurs, le livre lui-même verse parfois dans un sentimentalisme pro-Roi et dans une grande condamnation des abus du début de la Terreur. Pourtant, la nuance force à dire que ces stéréotypes sont un peu galvaudés. Max Gallo a un parti-pris : écrire stylistiquement la Révolution Française, en essayant de conter le plus possible la période sans rentrer dans un essai historique trop factuel. Le livre commence à l'arrivée au pouvoir de Louis XVI en 1774 et s'achève à son exécution le 21 janvier 1793. La dernière partie du livre se focalise cependant plus sur les événements de la Convention, et oublie un peu la personne du Roi, comme si elle était déjà un peu condamnée. Retour sur quelques éléments pour combattre les idées reçues.


Louis XVI.


Louis XVI n'est en effet pas le plus mauvais Roi, ni même le plus tyran que l'histoire française ait connu, cependant, il ne faudrait tout de même pas en faire une victime. Il est le petit-fils de Louis XV, et deuxième garçon des quatre descendants mâles en ordre de primogéniture à la succession. Ainsi, il n'était pas destiné à régner, et c'était son grand frère le Duc de Bourgogne qui le devait. Ce dernier avait fait l'objet de toutes les attentions, de tous les enseignements et suscitait l'admiration du Roi régnant, comme celle de tous les aristocrates du Royaume. Le Duc de Bourgogne sera finalement emporté par la maladie, et c'est le futur Louis XVI qui deviendra Roi. Pourtant, il n'est pas considéré comme très malin, ni même très aimé, à un point tel que ça en devient touchant : il est intéressé par des sciences "mineures", notamment par la forge, la chasse et la serrurerie. Il n'a pas l'âme d'un souverain, et même son grand-père en a conscience. Ce petit garçon rougeaud et mal dégrossi fait sourire toute la Cour, et ne respire décidément pas l'autorité, même après son mariage avec Marie-Antoinette, épouse choisie pour la continuation de l'alliance avec l'Autriche initiée par Louis XV. En 1774, Louis devient Louis XVI, et il tire les leçons du règne de son grand-père, détesté à cause de sa politique diplomatique, pénale et fiscale. Il est à cet égard très disposé à bien traiter ses sujets ce qui fait de lui un Roi potentiellement humaniste, qui n'osera jamais lever des impôts de manière trop inéquitable. Malgré les pressions très conservatrices de sa femme, de sa Cour et de son frère le Comte d'Artois (le futur Charles X), Louis XVI n'est pas totalement fermé aux idées des Lumières en acceptant comme "Premier Ministre du Royaume" Turgot, physiocrate et libéral, partisan du libre-échange et d'une monarchie éclairée, et en nommant comme Chancelier un homme inspiré par Beccaria, Lamoignon, qui tentera notamment de faire abolir la torture, ainsi que d'établir des moyens d'exécution moins cruels. Le véritable problème de Louis XVI reste sa faiblesse, et même sa pusillanimité. Dès le début de son règne, sa Cour et les Ambassadeurs moquent son physique et son impuissance envers sa femme qui ne tombera pas enceinte avant longtemps, et qui flirte avec Fersen, un Suédois aux yeux et aux sus de tous. Il n'ose pas non plus aller au bout d'un véritable progressisme, en congédiant Turgot, en congédiant même Necker, très populaire pour sa doctrine plus sociale(qui s'opposera au libre-échange), en faisant revenir les Parlementaires à Paris alors que son grand-père les en avait chassés, ce qui causera sa perte puisque ce seront ces derniers qui provoqueront la réunion des Etats Généraux en refusant d'enregistrer ses édits fiscaux. Son état d'esprit pendant les Etats Généraux, pendant la Révolution girondine et son durcissement seront également le fruit de tergiversations, d'un centrisme mou, ne tranchant ni en faveur de la monarchie constitutionnelle, ni même d'une reconquête du pouvoir. Il conspirera tant avec Mirabeau que l'Empereur d'Autriche. Il refuse de sacrifier l'Eglise, la monarchie de droit divin, et pourtant, se rend à la fête de la Fédération le 14 juillet 1790 en tant que monarque constitutionnel. Il fuit à Varennes en 1791, et pourtant il reprend ensuite ses fonctions comme si de rien n'était. Il veut être le parangon de la monarchie absolue, et pourtant il utilise le droit de véto que lui donne la Constitution à outrance, notamment pour les lois sur les sanctions des émigrés et des prêtres réfractaires, ce qui énervera définitivement les Montagnards et les Sans Culotte. Refusant toute concession, se défendant mal à son procès, ne fédérant aucun de ses alliés, il finira par se faire guillotiner sans n'avoir jamais su régner, faible et hésitant. Toutes ses intrigues échoueront, notamment le plan suicidaire d'engager la France vers la guerre pour que cette dernière perde, et que la coalition austro-prussienne rétablisse la monarchie de droit divin. Vain espoir.


La Révolution Française, une Révolution Bourgeoise ?


Cette idée là également est très répandue, notamment à l'extrême droite, et chez les nostalgiques de l'Ancien Régime. Il est très aisé de l'entendre par ci et là sur internet : la Révolution Française est une révolution libérale, provoquée par les Juifs, les Protestants, les Francs Maçons et qui va abolir une Royauté protectrice des paysans pour les livrer aux Bourgeois assoiffés de profit. La réalité est terriblement plus complexe car, même si les idées des Lumières sont d'essence libérale, et que les Députés de la Première Convention dite "Girondine" de 1791 est majoritairement bourgeoise et gagnée aux idées physiocrates, il faut rappeler que la Révolution n'est pas seulement législative. Le Peuple Français non-paysan, celui des ouvriers et artisans des villes, des indigents (120 000 à Paris) et des mendiants, ceux qui n'ont rien, qui n'ont jamais rien eu, se soulève en réaction à l'augmentation du prix du pain, réclame la justice sociale, massacre Aristocrates et Bourgeois confondus, et formera un corps qui va concurrencer la Garde Nationale bourgeoise. Ce Peuple appuiera toujours les Députés les plus sensibles à l'idée d'une justice sociale et du partage des propriétés, doctrine qui ne sera majoritaire qu'à partir de 1793, à savoir Marat, Robespierre, Roux ou les hébertistes. Concrètement, si la première partie de la Révolution a consisté à détruire la société d'Ancien Régime, sa structure de caste tripartite (oratores/bellatores/laboratores), ses privilèges, ses fermiers généraux, son système fiscale par répartition, sa société de corps, ses Intendants de Provinces, ses Parlementaires (qui contrairement à ce qui se dit n'a jamais été favorable au Peuple, cf l'ordonnance de St Germain En Laye, ou encore la politique de Louis XV). Une fois une société libérale crée, la Loi Le Chapelier votée, il a fallu trancher après l'abolition des privilèges et la création des Droits de l'Homme de la question du partage des propriétés. En effet, la fracture entre Girondins et Montagnards n'est pas seulement celle entre Jacobins et Fédéralistes, mais également celle de l'inégalité sociale : les premiers sont plus libéraux, et les seconds Socialistes, ce qui expliquera particulièrement la fureur des Sans Culottes contre les Députés de la Gironde. Quand on sait que ce sont les Montagnards qui gagneront, et que c'est cela qui marquera durablement les consciences quoiqu'il en ait coûté en matière de vie humaine, la Révolution n'a définitivement pas été bourgeoise. L'idée d'un Ancien Régime populaire et d'une Révolution libérale inégalitaire est un mythe.


Les autres clivages entre Girondins et Montagnards


Avant d'évoquer plus brièvement ces clivages, il faut savoir que cette rupture franche entre deux corps Girondins et Montagnards est fausse. Ces deux groupes sont tous minoritaires au sein de la Convention face à la majorité des Députés de la Plaine qui font et défont les majorités de gouvernement, tantôt en faveur des uns tantôt en faveur des autres. Même si ce sont ces deux groupes qui insufflent le plus intellectuellement la Révolution, d'autres groupes existent comme les Cordeliers, ou les Feuillants. Sinon, la distinction la plus connue entre ces deux groupes sont en fait ceux du mode d'action : les uns étant plus faibles et pacifistes, et les autres plus vindicatifs et participatifs. Le clivage qui sera le plus définitif, bien au-delà des autres, est celui de la politique étrangère. Les Girondins sont favorables à une intervention militaire contre les puissances étrangères, rentrant sans le savoir dans le jeu du Roi, alors que les Montagnards se méfiaient d'une éventuelle perte sur le champ de bataille. D'ailleurs, un chef d'armée Dumouriez, Girondin, passera à l'ennemi par la suite. Ensuite, les Girondins, étant plus démocrates et moins partageurs, vont laisser émerger une armée royaliste dans l'Ouest, ce qui donnera raison aux yeux des Sans-Culottes aux Montagnards. Ce n'est donc finalement pas qu'une histoire de clivage sur la gestion du pays, qui finalement n'est que très superficiel.

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le 21 mai 2018

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