"Considérons d'abord les amours que j'ai aimées un temps, avant de les trahir ou de les abandonner. Je leur reste pourtant fidèle et définitivement. Non certes en vertu des efforts du souvenir, que le travail du deuil ou une censure de dépit peuvent vouloir au contraire abolir. Mais parce que plus je me convaincrai que "Je ne veux plus en entendre parler", plus je reconnaîtrai, par cette dénégation même, que je me suis fait l'amant de celui dont, aujourd'hui, je prétends tout oublier. [...] J'ai éventuellement perdu avec le temps tel autrui ou perdu du temps avec lui - mais je ne perdrai jamais ce qu'il m'a fallu devenir pour l'aimer. Tous mes actes d 'amant, je les garde à jamais en moi - ou plutôt ils me gardent en eux et sauvegardent ma dignité irrécusable d'amant. Ceux que j'ai aimés ont pu disparaître, non pas le fait que je les ai aimés, ni le temps que j'y ai consacré, ni l'amant que je suis devenu pour les aimer. Car il n'y a jamais d'ex-, mais seulement des traces indélébiles des autruis, qui me firent un amant, un amant fautif, fini sans doute, mais définitif, irrévocable. Je ne pourrai jamais faire que je n'ai pas tenté d'aimer, donc que je n'ai pas aimé."