La Tour Sombre est une quête : celle de Roland, chevalier errant aux allures de cow-boy, parcourant les terres désolées d'un monde qui se délite et se meure. Il est le dernier survivant des pistoleros, seigneurs d'un régime fondé sur l'honneur et la discipline qui s'est effondré à la suite d'une terrible révolution menée par l'Homme de Bien.
Mais la chute de Gilead ne marque pas le début de la détérioration du monde.
C'est un événement isolé dans un long processus de pourrissement qui prend sa source longtemps, très longtemps auparavant, à une époque où l'humanité avait une toute autre forme.
Ce qui maintient Roland debout malgré toutes les horreurs qu'il a traversées, ce qui lui donne la force d'avancer au milieu des résidus de la société qu'il a connue et de parcourir ces terres qui portent encore les stigmates de cette ancienne civilisation disparue, c'est l'espoir d'inverser ce processus de mort programmée du monde en atteignant son centre névralgique : la Tour Sombre. Qu'y trouvera-t-il? Est-elle habitée? Si oui, par qui? Est-ce la demeure de Dieu? L'a-t-Il quittée? Nul ne le sait.
Et l'erreur serait de ne s'intéresser qu'à cette question.
Je n'avais jamais lu Stephen King, si ce n'est une ou deux nouvelles lors d'un cours de français, et c'était probablement un avantage car je n'avais pas d'attentes particulières. Cela explique peut-être pourquoi j'ai autant aimé Le Pistolero là où beaucoup d'autres l'ont trouvé si long alors qu'il est si court (je précise que, n'en déplaise aux puristes, le destin a mis entre mes mains la version revue et corrigée par l'auteur). On lui a souvent reproché son peu d'action et son rythme trop lent, ce que King lui-même a reconnu, proclamant par la suite que la série trouvait son véritable rythme à partir du 2nd tome. De fait, on entend souvent dire : "Oui, le 1er est chiant, mais tu verras, la suite est terrible."
Et pourtant.
Pourtant, toute la force du Pistolero réside dans ce rythme lent, ce récit contemplatif qui nous fait découvrir lentement ce monde qui n'a pas fini d'être perdu, dont les débris de civilisation vivotent, végètent et régressent à un stade primitif de violence et de superstition, où la magie a repris ses droits usurpés par la science et l'industrie qui ont tout détruit.
Bien sûr, moi aussi j'ai voulu courir à la Tour Sombre en massacrant mes opposants pour savoir les secrets qu'elle renfermait. Mais Roland m'a dit : "Arrête ta course. Calme tes ardeurs. Que gagneras-tu à courir de la sorte? Tu vas t'essouffler et te perdre. Fais comme moi : marche inéxorablement sur la route que le destin, le ka a tracée pour toi. Et contemple le monde qui t'entoure. Ce monde meurtri, c'est le mien." Et je l'ai écouté, cet homme dont le coeur fut asséché par les épreuves et son obsession pour la Tour, mais qui reprendra peu à peu vie en découvrant ce fils symbolique au milieu du récit. Mais si la Tour Sombre demandait son sacrifice?
"Allez-vous-en. Il existe d'autres mondes que ceux-ci."
La suite? Comme l'a promis l'auteur, elle fera preuve de plus d'action. Le rythme sera plus soutenu. Le récit va se mettre à courir. De plus en plus vite. Jusqu'à en perdre haleine. Jusqu'à en perdre son souffle. Jusqu'à ce tome 4 où, épuisé, il sera forcé de s'arrêter. Mais il ne parviendra pas à reprendre ses forces. La Tour Sombre se traînera pendant encore trois tomes avant de maquiller son agonie en fin.
Voilà pourquoi la lecture de ce livre est interdite, sous peine de prendre le risque d'être tragiquement happé par une quête qui vous laissera orphelin et frustré. S'il est déjà trop tard, soyez fort, restez-en là, sur ce coucher de soleil sur la mer, avec vos questions, vos rêves et vos espérances. Si vous avez commencé la suite, poursuivez jusqu'au tome 4, dont vous aurez pris soin d'arracher les dernières pages. Mais n'allez pas plus loin.
Car la dernière pièce de la Tour Sombre est vide. Je le sais.