« L'homme en noir fuyait à travers le désert, et le pistolero le poursuivait. » Putain comme début de roman ça claque. Tout dans le Pistolero offre un début qui claque : la première phrase présage une nouvelle qui ouvre en beauté un roman qui lui même ouvre en beauté toute une série de livre. Enfin, en "beauté" c'est plutôt "de façon très sombre et torturé."
Après avoir fini une autre saga culte (et compliquée à lire) voila-t-y pas que je me lance dans la Tour Sombre. Ou plutôt que je m'y relance. Lorsque j'étais un jeune adulte j'ai dévoré énormément de livre de King et j'avais commencé la saga y achetant les trois volumes en format J'ai Lu avant d'emprunter le quatrième à la bibliothèque. Finalement, mon frère a perdu mes romans en les filant à un de ses camarades de caserne (il passait son service militaire obligatoire, c'est vous dire si ça date) et j'étais trop occupé à faire des études de lettres pour m'intéresser aux volumes suivants. A la fin des années 2000 j'étais aux Utopiales et quelqu'un nous filait son stock d'invendu, j'ai donc récupéré les volumes 5 et 6 de la saga, sans jamais les commencer.
Cet été je me suis dit que c'était con de ne les avoir jamais lu, et je me suis dit que quitte à le faire, autant se retaper la saga au grand complet. J'ai retrouvé le volume 1 au puce (l'édition J'ai lu de 1991 qui montre un homme avec un corbeau sur l'épaule et la Tour Sombre au loin) et durant sa lecture j'ai retrouvé le Tome 2 au même endroit (avec une femme à poil allongée devant la fameuse Tour.)
J'avais gardé un bon souvenir de ce roman inaugural, mais en le relisant dans la pleine chaleur de fin Aout/Septembre 2021, je me suis repris la claque originelle prise il y a vingt ans. Il y a dans ce roman (ou plutôt cette suite de nouvelles) une ambiance que King ne retrouvera jamais dans ses autres romans (et pas vraiment dans la suite de la saga, du moins les 4 premiers.) Il y a quelque chose de presque hypnotique, de métaphysique, au milieu d'une ambiance de western avec cette littérale traversée du désert effectué par le héros durant les deux premiers volumes.
Évidemment, la première nouvelle est une claque : cette histoire d'un Pistolero dont on connait à peine le nom, qui poursuit un homme en noir, totalement mystérieux, à travers un désert isolé dans un monde agonisant. Et qui traversant une ville de western, finit par en exterminer l'intégralité des habitants, tombés sous le contrôle de l'homme en noir. On sent une ambiance désespérée, poisseuse, oppressante, dans laquelle le héros désigné est obligé de faire des actes affreux pour s'en sortir. (King a révisé la nouvelle afin d'atténuer la tragédie, ce que je trouve un peu moyen.)
Le fait qu'on ne connaisse pas Roland de Gilead, que l'on connaisse à peine son background ajoute aussi au mystère : on ne sait pas qui il est, quelle est la fonction de Pistolero, ni le sujet de sa quête. C'est vraiment très flou et ça rend le tout presque poétique. Les autres nouvelles atténuent cela en donnant à Roland des flashbacks, qui bien que très épars, expliquent le personnage en quelques lignes : son enfance, son entrainement pour être un pistolero, le rapport, et le destin des son entourage (tous morts dans des circonstances dramatiques.) Je sais très bien que le tout sera bien plus développé (notamment tout ce qui tourne autour de Susan) dans les prochains romans, mais cette brièveté des descriptions faisait aussi partie du charme du roman : pas besoin d'en savoir plus, tout était déjà là.
Les autres nouvelles du roman nous donnent un peu plus de précision sur ce que sera la suite : le fait que Jake vienne de notre monde nous fait comprendre qu'on est dans un monde parallèle (ou dans un futur apocalyptique) le passage avec la pythie nous donne des indices sur ce qu'il y aura dans les futurs livres (et les personnages d'Ed et de Dottie) l'enfance de Roland et son passage au moment adulte nous est raconté, puis son but est un peu clarifié à la fin.
Le fait d'avoir lu les autres livres atténuent aussi le côté tragique et sombre de Roland
On sait que le Pistolero va ramener Jake à la vie dans le troisième roman.
La dernière nouvelle offre un final assez métaphysique dans lequel l'homme en noir parle de ce qu'est l'univers cimente vraiment le côté hors norme du roman qui se termine après
une nuit qui a durée 10 ans.
Il y a comme un parfum d'inconnu qui ne reviendra jamais, un peu comme ces mystérieuses couvertures chez J'ai Lu qui ne feront pas parties des rééditions, Sans être mauvais, les prochains romans n'auront plus le charme du premier : Roland devient bien plus lisse, les situations sont plus manichéennes, on explique le background, le fonctionnement de l'univers, et l'ambiance western noire est quand même bien atténuée.
Dommage.
PS : En relisant la post-face écrite en 1982, Stephen King lui même disait qu'il ne savait pas trop ce qu'il allait se passer dans le reste du récit ni même quel était véritablement le background de Roland.