Miranda July a du talent (beaucoup de talent, ça s'appelle du génie?) et en plus elle a l'air de savoir quoi en faire. Elle écrit pour de vrai. Elle écrit des vrais livres. Flammarion a raison de lui réserver un traitement spécial. Ils tiennent une vraie écrivain, et en plus, ils font appel à un traducteur qui sait vraiment ce qu'il fait, ça fait plaisir à voir. C'est une fille, et elle parle avec une vraie voix de fille, une voix perso, avec une grande force d'empathie et très drôle, avec à la fois beaucoup d'émotion, du pathos qui dégouline, et beaucoup d'intelligence, pas de cynisme ou presque, mais une vulnérabilité touchante. C'est ce qu'on aime dans les livres, beaucoup de pathos, beaucoup trop même, mais tempéré, racheté, magnifié, par un je-ne-sais quoi d'intelligence farouche, de lucidité presque démoniaque, de j'ai-pas-peur-du-vide, et l'impression qu'elle va creuser loin dans elle et dans nous, quitte à se faire mal et à nous faire mal, mais qu'est-ce qu'on ferait pas pour le plaisir de voir les choses en face. Elle sait mettre dans chaque phrase ou presque une vraie dose d'elle-même, son empreinte, sa douceur déchirante, une empreinte d'elle-même dans chaque phrase, et ils sont pas très nombreux, les écrivains qui savent faire ça, c'est pour ça qu'elle a son petit côté Salinger, elle dit quelque chose de simple et elle le dit tout le temps, quelque fois elle crie et quelque fois elle le dit juste tout bas, elle arrive à être entière, elle-même et plus encore à presque chaque page.


C'est des personnages vulnérables, sans doute médiocres vus de l'extérieur, et de l'intérieur aussi d'ailleurs, enfin très pathétiques, misérables comme des êtres humains quoi, et qui détestent ce qu'ils sont, qui se haïssent sans le savoir, qui doivent toujours détourner le regard pour ne pas voir ce qu'ils sont, une chose honteuse, et sale en fait, un amas psychologique grotesque informe et putride, une chose impossible à aimer, sauf peut-être par un autre pestiférés du même acabit (beurk!), mais heureusement, il y en a plus d'un dans la tête de Miranda... Voilà c'est ça Miranda July, des tout petits problèmes d'identité vraiment gigantesques, gens qui se sentent pas bien dans leur peau, qui arrivent pas à avoir une sexualité prête-à-porter, parce qu'ils sont trop moches ou trop coincés, ou trop bizarres, et que finalement, ils aiment pas tant que ça qu'on les approche et qu'on les tripote.


Enfin, tout ça. Cela j'ai pas pris tant de plaisir à lire ce roman. J'ai préféré ses nouvelles, qui sont d'ailleurs sans doute des morceaux de romans avortés, et qui sont plus poignants et lancinants et acidulés. L'obligation d'une intrigue, la progression sur 300 pages, ça gêne ce qu'elle a à dire, moi j'ai passé des pages. Mais lisez-la quand même. ça vaut presque les 20 balles d'un grand format. Elle écrit mieux que ses films. On la voit moins dans ses livres et c'est plus touchant, on a moins l'impression qu'elle fait semblant, même si elle fait semblant quand même, bien sûr. Elle sait ce que c'est écrire. C'est drôle, c'est intelligent, c'est sensible, et ça se paye même le mauvais goût d'être sentimental, et de parler de vieilles lesbiennes pas si lesbiennes que ça sans dire trop de conneries. Tu me diras : mais qu'est-ce que t'y connais aux lesbiennes toi Pedouillet ?

Peter_Saras
8
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le 9 févr. 2016

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