Nabokov n'est pas seulement l'auteur de Lolita. Ça serait déjà pas mal, bien sûr. Oui mais voilà, ce n'est pas tout. Il y a plus. Il y a mieux. Vous ne pensiez pas que c'était possible ? Honnêtement, moi non plus.
Parce que : comment faire plus délectable que Lolita ? Plus extatique ? Comment provoquer dans notre échine, dans notre système nerveux, un frisson de jubilation plus viscéral encore ? La réponse est simple : en écrivant Ada (Ada l'ardente, la mirifique), une autre paire de manche, une autre nymphette – infiniment plus criminelle et diabolique que la précédente (un soupçon plus archangélique), et dont cette fois l'amant n'est pas le père d'adoption, mais un jeune homme distingué de trois ans son aîné, un paon loquace qui fait la roue, son grand frère chéri. On ne trouvera donc pas ici ce qui fait le charme venimeux, épuisant de Lolita : le conflit entre la répulsion que nous inspire H.H., et la séduction difficilement répressible de sa plume. Ici, on se délecte sans scrupule aux ardentes étreintes des amants, à leurs accouplements primitifs et suaves, de leur idylle perverse, de leur dépravation, etc. D'accord, ils sont frères et sœurs.
C'est un livre qui se mérite, mais on va jusqu'au bout parce qu'on sait qu'on tient dans les mains un objet rare, un univers qui ressemble fort au paysage intérieur de Nabokov : Russie solaire de son enfance mêlée d'Amérique, insectes grouillants et papillons fallacieux, liberté primitive des mœurs, vertige du temps qui passe et entrelacs de métaphores serpentines, et bien sûr, langues qui s'entremêlent impudiquement, et se lèchent et se pourlèchent, les grands écrivains sont érotiques, sans parler de Lucette.