Ada ou l'Ardeur par vivianbloom
Bloqué en cours de relecture après une première lecture qui ne m'aura servi qu'à prendre des marques dans un roman foisonnant au possible.
Les raisons de ce blocage sont doubles et très différentes.
D'une part les images et les formulations de Nabokov sont tellement belles et frappantes qu'on se retrouve fréquemment assommé, les bras tendant mollement un livre qu'on ne peut poursuivre pour cause d'esprit en vagabondage loin, loin de ce qui est effectivement écrit sur la page.
La seconde, plus personnelle, c'est que j'ai toujours au fond considéré Nabokov comme un vieil enquiquineur. Dans Ada, il ne se prive pas, les occasions de nous faire la leçon sont nombreuses et les avis de Nabokov sont aussi tranchés que parfois discutables. Nabokov a beau fustiger les importants ou ceux qui se prennent trop au sérieux, j'ai quand même eu l'impression de le prendre à plusieurs reprises en flagrant délit de pédanterie.
Traduction française révisée par l'auteur oblige, le livre est gorgée de jeux de mots, contrepèteries et autres allitérations, ce qui n'aide franchement pas à la fluidité de lecture.
Le texte est ainsi d'une densité rare, à laquelle s'ajoute des jeux méta-textuels tels que les annotations a posteriori et une narration à la fausse troisième personne ( le texte est en fait écrit à deux main par les héros du roman, Ada et Van (couple incestueux), parfois une première personne s'insurge qui n'est autre que Van ).
Tout ceci donne l'impression de se trouver face à un manuscrit du moyen âge enflé et annoté au cours des siècles. Voire pire, même si Nabokov affirme avoir détesté ce livre, on serait presque tenté de rapprocher Ada du Finnegans Wake de Joyce, pour la narration en plusieurs couches inextricables et pour la volonté de recréer une atmosphère de rêve.
Et de rêve il est bien question dans Ada, l'histoire ne se déroulant pas sur Terre mais sur Antiterra (ou Demonia), une planète cachée derrière le soleil et pressentie par Pythagore qui l'avait appelé Antichton. Sur cette planète l'histoire et la technologie sont complètement différentes de la nôtre ce qui permet à Nabokov de se livrer en sourdine à un exercice de science-fiction, voire carrément de Steam-Punk comme on dirait aujourd'hui.
L'Arcadia où se déroule le livre semble un mélange d'Amérique et de vielle Russie, deux pays que Nabokov chérit et honnit en égale mesure.
Les malades mentaux de Demonia, tels la mère de Van, ont commencé à rêver d'une autre planète appelée Terra qui n'est autre que notre Terre.
Les conversations téléphoniques se font par le moyen d'un ingénieux système hydraulique, tandis que le rêve de bon nombre de gosse du XXeme siècle, j'ai nomme le tapis volant ou Overboard (skate volant), est inventé depuis belle lurette, mais curieusement abandonné au grenier comme tout les jouets merveilleux qui finissent par lasser avec une rapidité proportionnelle aux fantasmes qu'ils ont voulu faire naître.
Une atmosphère particulièrement onirique donc, comme le dit bien mieux que moi la fin du roman, présentée sous la forme d'une parodie de quatrième de couverture :
"une Amérique à la clarté de rêve - car nos souvenirs d'enfance ne sont-ils pas comparables aux caravelles voguant vers la Vinelande, qu'encerclent indolemment les blancs oiseaux des rêves ?"