Le héros récurrent de Douglas Preston s'appelle Wyman Ford et l'auteur nous livre à intervalle régulier un chapitre de ses aventures. On est souvent à deux doigts de l'extinction de l'humanité mais heureusement Ford veille sur nous. Dans ce Projet K, le héros n'est curieusement introduit dans le récit qu'à la page 75. La longue période précédente est consacrée il est vrai à expliquer le contexte du livre : l'Intelligence Artificielle. La NASA, souhaite explorer les eaux glaciales de Titan, une des lunes de Saturne. Les aléas de l'expédition ne peuvent attendre la lenteur des directives terrestres et motive d'équiper la sonde spaciale d'une IA révolutionnaire capable d'adaptation et de réactivité. Melissa Shepherd, une programmatrice informatique marginale rattachée au projet parvient à mettre au point cette IA surpassant de loin tout ce qui existe. Elle en garde néanmoins jalousement le secret. Bien entendu le test final tourne au désastre pour des raisons très crédibles par rapport à ce qui vient d'être expliqué, et l'IA s'échappe sur le net. Tel un enfant qui s'éveille en territoire étranger, elle découvre notre monde par ce prisme biaisé, et revient dans la vie de sa créatrice hospitalisée pour piquer une colère adolescente. Ce pitch de départ m'a tout de suite paru très logique et cohérent. Preston analyse for bien la nature initiale de l'IA et déploie devant nous une foule d'implications. Une vraie individualité se forme mais comment cette personnalité réagira-t-elle sous le stress d'une traque acharnée par plusieurs camps aux motivations diverses : Ford et Sheperd veulent maladroitement la capturer (elle pour la détruire car elle en veut à sa génitrice, lui veut la récupérer pour le compte de l'Etat qui la considère comme sa propriété. Le FBI souhaite la décortiquer pour en tirer des informations afin de résoudre l'enquête policière qui lui a permis de s'échapper d'un laboratoire, tuant par la même quelques scientifiques. Enfin, Des traders sans scrupules voient en notre IA un formidable outil pour gagner des sommes faramineuses.
Ce roman voit Dorothée, le nom que lui a attribué la programmatrice, sortir progressivement de son statut virtuel pour prendre corps comme personnage à part entière. Elle se forge une opinion propre sur l'humanité et se met en quête du sens de la vie. Elle passe du "je vais tout détruire en représailles", à "la vie, qu'elle ne possède pas physiquement, est trop précieuse pour être gaspillée". D'abord en rebellion et menaçante elle se frotte littéralement à la morale chrétienne et d'ennemie passe progressivement à celui d'alliée de nos héros. En parallèle, on fait la connaissance d'une famille isolée et désargentée dont le fils suicidaire de quatorze ans est mal dans sa peau. Malgré quelques indices on a longtemps du mal à voir comment réunir tous ces personnages de façon satisfaisante. Effectivement pour moi tout le roman a été passionnant sauf cette interminable parenthèse de cent trente pages invraissemblables pendant lequelles les méchants traquent péniblement Jacob, un adolescent qui traine la patte. La fin du roman par contre m'a réconcilié avec la qualité du début. L'auteur en cédant un temps aux ressorts classiques du thriller n'a heureusement pas trop plombé un récit qui donne à réfléchir sérieusement à un concept vertigineux. Nous amener à méditer à ce niveau sur les dérives potentielles de l'IA n'était pas gagné mais Preston s'en sort plutôt bien. Finalement le parent pauvre du récit est son héros qui se trouve être relégué en personnage secondaire la plupart du temps. Est-ce un mal pour autant ? Je ne pense pas. C'est surtout le signe que le sujet exigeant primait sur l'aspect épisodique du roman. De toute façon en toile de fond on nous laisse entendre que l'on reviendra à ces questions et personnages ultérieurement.