Si le Mahâbhârata est souvent comparé à une espèce d'Iliade indienne, l'Odyssée est logiquement évoquée pour décrire le Râmâyana. Le changement de ton entre les épopées de Krishna et celle de Rama et le concept de longue errance rendent cette réflexion assez légitime. Cependant, l'importance culturelle de ces deux oeuvres sur la culture indienne actuelle est sans commune mesure à celle des récits d'Homère sur notre propre patrimoine.


Alors que l'européen moyen connait à peine l'histoire de la guerre de Troie et se représente sans doute Achille sous les traits (certes avantageux) d'un Brad Pitt faisant la moue, n'importe quel Indien pourra vous dire à quel point son enfance fut bercée par les exploits héroïques d'Arjuna et l'amour parfait entre Rama et la bonne (dans tous les sens du terme) Sîtâ. L'épopée, en Inde, n'est pas chose morte comme en Occident. Elle vit, imprègne la psyché de tous et se transmet aux jeunes générations avec un élan jamais brisé.


Serge Demetrian nous propose de (longs) résumés nés de ses patientes écoutes de conteurs traditionnels dans le sud de l'Inde. Ses deux livres sont donc la meilleure façon de découvrir ces épopées en français: les œuvres originales sont tellement longues et exigeantes que seuls quelques spécialistes se risquent à les lire en entier. Cependant, j'ai trop longuement partagé tout le bien que je pensais de son Mahâbhârata pour ne pas avouer une légère déception au sujet du Râmâyana.


L'épopée de Krishna mêlait récit épique, fable mythologique, discours philosophique, conseils politiques, allégorie religieuse, drame, généalogie dynastique, recettes de cuisine (ou peut-être pas...), récit d'amour, catabase et anabase. Le Râmâyana est beaucoup plus modeste dans ses intentions, avec un récit pratiquement linéaire et qui semble s'étirer, s'étirer... jusqu'à l'ennui, avouons-le. Il ne se passe pas grand chose durant l'exil de Rama, ce qui n'empêche pas de longues descriptions et les dialogues qui ont une fâcheuse tendance à tourner en rond. Et quand un événement important vient troubler le récit, c'est souvent conté sans réel talent, presque avec platitude. Tous les personnages gentils sont parfaits et invincibles, tous les méchants sont détestables et bourrés de points faibles. Ca en devient vite insupportable (mais c'est un bon moyen de voir si vos séances de méditation vous ont réellement appris la patience).


L'erreur de Demetrian, selon moi, fut de conter le Râmâyana dans un nombre de pages quasiment identique au Mahâbhârata alors que la densité narrative n'a rien, mais alors rien à voir. La geste de Rama tient sans conteste davantage du conte de fées, à base de péripéties stéréotypées (l'exil d'un prince, l'amour fou entre le prince et la princesse, l'enlèvement de la belle...) qui n'hésitent pas à sacrifier parfois à la cohérence psychologique.


La valeur spirituelle de cette épopée n'est pourtant plus à démontrer, même si elle ne brille vraiment qu'une fois la conclusion, étrangement amère, lue et assimilée. Une impression largement positive suit alors la déception et s'infuse dans l'esprit, source de réflexion sur la puissance destructrice de nos principes lorsqu'ils sont suivis trop aveuglément. De la volonté de faire le bien peut alors découler la douleur, la tristesse et la solitude... Et la pesante perfection s'effrite face aux réalités de la vie... Mais si on était arrivé à cette brillante conclusion en faisant moins d'étapes inutiles, le voyage n'en aurait semblé que plus agréable.

Amrit
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le 10 févr. 2017

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