J'ai pour l'instant trouvé peu de textes ayant le pouvoir de me faire ressentir et visualiser les choses aussi profondément et précisément que ce roman. Les odeurs, les paysages, les douleurs… sont si présents et si bien retranscrits qu'ils en deviendraient presque palpables.
Les longues descriptions de la nature et des personnages rencontrés par Brodeck tapissent une grande partie de l'histoire et nous plongent instantanément dans un univers particulier, beau et si effrayant à la fois, peuplé de personnages tous aussi tristes et mélancoliques qu'intrigants. À la fois on a l'impression que tout nous est familier tout en étant quelque chose d'inconnu dont on apprend un peu plus à chaque ligne.
La lecture est à la fois facile, fluide par la beauté du style de Philippe Claudel, mais est perturbée par les allées et venues dans les différents espaces-temps. Le passé, le présent, sont mêlés de chapitre en chapitre : au lecteur d'apprécier (ou non) l'exercice de remodelage de l'espace dans la chronologie du récit, talentueusement démembré par l'auteur. Cet exercice littéraire nous pose une ambiance lourde et intemporelle décrivant la violence, la haine qu'est capable de déverser l'Homme sur ses pairs. Des gestes de pitié, de peur, de colère qui pourraient avoir lieu dans ce contexte d'après-guerre comme dans n'importe quelle autre période de notre Histoire. Claudel nous présente un témoignage (fictionnel certes, mais qui aurait pu en être vraiment un) d'un homme qui a subit toutes les atrocités de la guerre, mais qui en est revenu. À aucun moment les choses dont on a déjà entendu parler, telles que les camps ou la Shoah, ou même un lieu ou une date, ne sont nommés clairement dans le roman : aucun contexte précis n'est donné, même si on se l'imagine parfaitement. Ce silence et cette subtilité nous permettent de nous plonger dans notre propre imaginaire et de vivre les événements bien plus intensément en pouvant même les projeter n'importe où, n'importe quand. Peut-être même à demain.
Par le biais du narrateur Brodeck et de son rapport, Philippe Claudel raconte, la mort, la souffrance, la guerre, la cruauté humaine, mais aussi l'amour et le courage.
C'est sans conteste un texte grave, sombre, dur, que je ne suis pas prête d'oublier, et que je conseille à tous de lire.
Le Rapport de Brodeck est un roman poignant, débordant de vérités, intemporel et ingénieusement sublime dans son écriture.