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Le Rêve
7.1
Le Rêve

livre de Émile Zola (1888)

(Critique contenant des spoils)


Le Rêve est le 16ème roman des Rougon-Macquart, le plus court (à peine 200 pages) et l’un des moins connus (avec Une Page d’amour et La Joie de vivre). Il a surtout une place à part dans le cycle romanesque de Zola.

Le Rêve arrive après trois romans majeurs mais particulièrement dramatiques (Germinal, L’Oeuvre et La Terre, peut-être le plus terrible de ces romans). Et les critiques, toujours promptes à tomber sur le dos de Zola, lui ont reproché de ne faire, finalement, que se répéter, que répéter les mêmes formes, les mêmes propos, en ne changeant que le cadre. Zola, du coup, change complètement de type de récit le temps d’un roman, sorte de parenthèse dans les Rougon-Macquart.

Le Rêve relève du conte, voire du récit de miracle. La Légende dorée y apparaît comme une référence répétée de nombreuses fois dans le roman. Angélique, la protagoniste, est marquée par les récits qu’elle lit dans le livre de Jacques de Voragine, et Zola vante cette foi simple, « primitive » (l’adjective est repris plusieurs fois dans le roman, renvoyant à une religion primitive, ancienne, en opposition à la religion de son temps, jugée plus hypocrite; cette opposition apparaît jusque dans l’avant-dernier chapitre, où s’opposent le rite de l’extrême-onction, très codifié et inefficace, et le baiser relevant du miracle ancien, seul capable de réveiller la jeune fille), qui voit les miracles envahir la vie des saintes et les anges intervenir auprès des humbles humains. Dans ce roman, les cieux sont habités. Les prénoms des deux protagonistes sont, à ce titre, pleins de signification : Angélique et Félicien, l’Ange et le Bienheureux.

Le déroulement du récit a tout du conte également. Angélique est une gamine abandonnée par sa mère et passée de familles d’accueil en familles d’accueil avant de s’enfuir ; si son nom n’est jamais cité, il s’agit en fait d’Angélique Marie Rougon, fille de Sidonie Rougon, que l’on rencontre dans La Fortune des Rougon et surtout La Curée. Vêtue de haillons, elle arrive en plein hiver, transie de froid, dans la cathédrale d’une petite ville imaginaire. Elle sera recueillie par un couple de brodeurs en mal d’enfants, qui vont l’élever comme leur fille. Mais là, surtout, dans cette cathédrale, elle se placera sous la protection des saintes statufiées, en particulier de Sainte Agnès, qui reviendra à plusieurs moments dans le roman, marquant ainsi les différentes étapes du récit.

Angélique va grandir, entre autres, sous l’influence de La Légende dorée, qui va peupler son imaginaire et son univers. Elle va s’imaginer comme une de ces martyres qui vont rester pures et mourir par amour du Seigneur, ou comme ces saintes qui vont survivre par les interventions miraculeuses de la Divinité. Elle va aussi rêver d’amours pures avec un riche prince qui viendrait l’enlever pour la conduire à l’autel. Le château local, appartenant depuis des siècles à la famille de Hautecoeur, et les légendes qui y sont attachées vont aussi nourrir son imaginaire.

Finalement, avec quelques décennies d’avance, on se retrouve un peu comme dans un monde décrit par Proust, où l’imaginaire précède et façonne la réalité.

Et, finalement, le conte se poursuit avec la rencontre d’un charmant jeune homme chargé de restaurer les vitraux de la cathédrale. Se dessinent alors les contours d’un récit relevant du conte, avec l’orpheline dont le prince, forcément charmant, tombe amoureux.

Mais bien entendu, nous sommes à la fin du XIXème siècle, et Zola n’est pas un auteur de conte. Le titre, déjà, signifie fortement qu’il ne faut pas confondre ce roman avec la réalité (là où, justement, Zola s’était fait un point d’honneur à être, d’habitude, le plus réaliste possible).

Ensuite, le romancier est en action. Le jeu du décor a une importance capitale, par exemple : la maison où vit Angélique est accolée à la cathédrale et constamment dans son ombre, symbole d’un pouvoir du religieux sur la vie de la jeune femme (symbole aussi de la toute-puissance de l’évêque sur le sort des deux protagonistes). Elle y voit un côté bénéfique mais nous, lecteurs on sent cette présence imposante comme une menace, et on ne s’y trompe pas. Zola crée ainsi, par petites touches un décalage entre la vision du monde d’Angélique et ce que nous voyons arriver, nous qui n’avons pas son innocence, nous qui connaissons le monde et sa façon de fonctionner. Le roman va sans cesse se passer comme cela, dans cette tension entre la vision naïve d’une protagoniste qui attend des miracles et le réalisme que nous pensons posséder. En cela la mère brodeuse, Hubertine, représente bien la vision des lecteurs, ceux qui veulent avertir Angélique de ne pas trop croire aux rêves, que les miracles n’existent que dans les légendes.


Cependant, Zola se plait à déjouer nos attentes.

Certes, tout semble s’opposer à cette union de conte de fées. Certes, le roman oppose deux générations, les jeunes qui veulent vivre leur rêve et leurs parents qui connaissent la vie. Cependant, ici, il n’y a aucun personnage dont on puisse dire qu’il est « méchant ». Même ces parents qui, de chaque côté, vont s’opposer à l’union d’Angélique et Félicien, le font avec les meilleures intentions. Chacun est prisonnier de sentiments issus de leur passé, la douleur de la femme perdue pour l’évêque, la douleur de l’enfant perdu, vu comme une punition par les brodeurs. Et chacun agit en souhaitant épargner ces douleurs à leurs enfants.

Ce qu’ils ne savent pas, et que l’on ignore également, nous lecteurs, c’est que le rêve agit, les miracles existent. Et même si le roman s’achève par la mort d’Angélique, ce n’est pas une mort triste, c’est presque déjà une élévation, comme une apothéose. D’abord, tout le monde est prévenu depuis longtemps de cette mort imminente, aussi bien les lecteurs que les personnages. Angélique a reçu l’extrême-onction. Et Félicien lui-même n’est pas surpris, comprenant finalement que dès le début, il a épousé quelqu’un qui n’avait plus que la consistance d’une ombre.

Ensuite, cette mort intervient, de l’aveu même de Zola, à la fin du rêve. Comme tous les contes, celui-ci devait s’achever par le mariage de la pauvre fille avec le riche prince. Angélique n’a duré que le temps d’un rêve, elle meurt au moment d’entrer dans la réalité, dans le monde réel, sur lequel sa foi, inébranlable jusque là, n’aura désormais plus prise.

Cette mort, c’est la mort d’une sainte ravie en pleine félicité. Jamais Zola ne nous avait donné cela auparavant.

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il y a 4 jours

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