Littérature érotique du XVIIIe > all.
Ce livre est un régal. Bien écrit, avec une véritable histoire et une grande finesse, il assume pourtant en même temps parfaitement son rôle de stimulant érotique, avec de nombreuses scènes de sexe, très inventives, qui ne lésinent pas sur les mots crus mais sans vulgarité. On peut noter en outre les mises en abyme répétées, avec par exemple Isabelle qui raconte son histoire à Rose qui raconte son histoire à Laure, notre héroïne ; les facéties habituelles de l'introduction au XVIIIe siècle, avec "nous publions ce manuscrit anonyme trouvé dans un couvent après avoir changé les noms des protagonistes..." ; et la présence incontestable mais sans être envahissante de réflexions et discours sinon réellement philosophiques, au moins sages et véhiculant une volonté de libération des moeurs mêlée aux idées novatrices et pseudo-scientifiques de l'époque. Il me semble donc que ce petit roman est un roman complet, comme on n'en fait plus, un petit bijou du XVIIIe qui est et sonne très XVIIIe, mais d'un point de vue érotique, ce qui est synonyme de subversif en ce siècle.
Subversif, et peut-être à raison par certains aspects, et peut-être encore aujourd'hui - d'aucuns n'apprécieront guère le traitement de l'inceste dans cette oeuvre. Oui, le grand amour de Laure (ne vous en faites pas ceci n'est pas un spoil) est son père, et même s'il n'est pas son père biologique il le reste sentimentalement parlant, et les ébats et discours des deux susnommés ne tarissent pas de "mon cher papa" et "ma chère fille". Oui, il y a d'autres relations incestueuses, et purement cette fois-ci, dans l'oeuvre, et qui ne choquent ni les personnages, ni les lecteurs imaginaires, ni Mirabeau. Mais que voulez-vous, c'est si beau ! Ca a l'air si naturel ! Il semble que ce soit la conséquence naturelle de la découverte du sexe chez les enfants.
Entendons-nous bien, je ne suis pas en train de justifier l'inceste, je vous demande de ne pas crier à l'infamie. Je dis simplement que la façon dont est tourné le récit rend le lecteur rêveur, voire envieux. Pour tenter une comparaison, je dirais que nous ne sommes pas dans l'hypocrisie sadienne où l'auteur fait semblant de dénoncer les affreuses pratiques de ses personnages alors que c'est pour lui tout le contraire - point de jugement moral ici, dans un sens comme dans l'autre d'ailleurs (je ne crois pas que Mirabeau cherche à défendre l'inceste comme seul mode de copulation décent) ; mais, et aussi étrange que cela puisse paraître, nous sommes plus proches de Lolita de Nabokov, dans laquelle on en vient de façon tout à fait malsaine à DESIRER que Humbert et Lolita couchent ensemble, tellement l'amour de Humbert semble beau, pur, vrai. Ou alors c'est moi qui suis la pire des dévergondées, hypothèse à ne pas exclure. Finalement, il me semble que cette prédominance de l'inceste soit plutôt une conséquence de thèmes chers à l'auteur, et directeurs dans le roman : la sexualité infantile naissante, l'espionnage des aînés, l'idéal d'une absence de perversité malsaine... Il devient normal que les jeunes gens fassent leurs premières tentatives avec ceux qui les entourent, à savoir la famille. Et il n'est nullement question de viol, bien sûr.
Bref, c'est un joli huis clos d'amour que nous peint ici Mirabeau. Un huis clos qui parvient avec habileté à intégrer de nouveaux personnages, de nouveaux obstacles, de nouveaux jeux, pour ne pas tourner en rond, jusqu'au dénouement tragique, assez joli, qui retombe assez souplement sur une idée romantique millénaire : l'amour éternel, avec lequel l'érotisme se marie à merveille.