Hail to the king
Force m'est de l'admettre; au vu de mon amour des lettres, voilà longtemps que je voulais lire cette pièce bien avant ma stupide vieillesse Et voilà que poum et vlan ! On m'en fit présent Voici...
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le 21 févr. 2016
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L'Histoire de la critique est naturellement lié à l'Histoire des civilisations. Moi qui, pendant longtemps, boudais le théâtre de Hugo en ce qu'il me paraissait moins riche que ses romans ou ses recueils poétiques, je dois aujourd'hui me rendre à l'évidence : cette décision est mauvaise.
Je vais essayer de prouver en quoi, par l'analyse d'une critique et par la mise en lumière de ce que les contemporains de Hugo lui reprochaient, cette pièce vaut un (nouveau pour certain) regard attentif.
Je prendrai pour exemple l'article « THÉÂTRE FRANÇAIS, LE ROI S’AMUSE, drame en cinq actes et en vers de M. Victor Hugo » publié dans le journal Le Constitutionnel le 21 novembre 1832.
La critique telle que conçu au XIXème siècle est bien différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. Au cours de l'Histoire de l'art, les mentalités évoluent et, avec elle, les usages et les mœurs. La critique journalistique reflète les différentes manières de penser l'art, en fonction d'une grille de jugement qui dépend des époques.
Cette critique de la pièce Le Roi s'amuse s'inscrit dans la perspective critique de son
temps en explicitant dès l'entame l'importance de la moralité dans la réception de l’œuvre ainsi
qualifiée à plusieurs reprises comme faisant atteinte à la "morale". S'engage alors un véritable
réquisitoire contre Le Roi s'amuse et, à travers la pièce, de son auteur. Le théâtre de Victor
Hugo prend des libertés vis-à-vis de ce qui est considéré comme représentable ou non au
XIXème siècle. Le critique évoque ainsi en des termes péjoratifs l'œuvre du dramaturge : "pièce monstrueuse", "il a foulé aux pieds, histoire, raison, morale". La pièce en question met en scène François 1er, figure royale admirée par excellence, symbole de la période faste de la Renaissance. Ici, cette figure est présentée comme monstrueuse, immorale, désacralisée par le dramaturge. Là où, dans les critiques qui traitent de Lucrèce Borgia, la polémique n'est pas aussi importante eu égard au statut du personnage éponyme, celui de femme de pouvoir, italienne, ici, Victor Hugo s'attaque à un roi populaire, amoureux des arts, qui symbolise la grandeur de la France.
Le critique est à charge contre la pièce et use d'une certaine ironie : "Ce troisième acte est d’une immoralité révoltante; et puis je n’ai pas besoin de faire remarquer que si François Ier fut galant, l’histoire ne met pas un viol sur son compte; cette gentillesse est de l’invention de M. Victor Hugo.". L'ironie se poursuit lorsque l'auteur de la critique relève les "quelques beaux vers" qui ne peuvent "racheter le vide de la conception", même la beauté de l'écriture du dramaturge, pourtant louée à la fin de la critique lorsque sont évoquées ses recueils de poèmes et son roman Notre-Dame de Paris paraît dérisoire face à l'immoralité de sa pièce : "Le même dégoût nous attend au quatrième acte". De cette comparaison naît une hyperbole lorsque le critique évoque le scandale de Hernani, pièce qui est qualifiée de "chef-d'œuvre"lorsqu'elle est mise en parallèle avec Le Roi s'amuse. L'accusation d'immoralité paraît ici légitimer la dernière phrase de la critique : " Nous apprenons ce soir que M. le ministre des travaux publics a donné l’ordre de cesser les représentations de cette pièce.", ce jugement juridique corrobore la vision que donne l'article de la pièce.
Autre caractéristique de la critique des siècles passés, une grande partie de la critique est employée à la description de l'action, du texte dramatique donc. Il n'est pas question de mise en scène et, même si le statut officiel apparaît à la fin du siècle, au cours de cette critique, seul le texte et l'action dramatique sont évoqués. Seule exception notable, la question de l'assassinat lors du quatrième acte : "Pourquoi M. Victor Hugo ne nous a-t-il pas montré l’assassinat? Une horreur de plus, qu’est-ce que cela?". Au XVIIème et XVIIIème, la mise en scène n'est nullement considérée, puis, au XIXème malgré une évolution progressive, elle reste secondaire et n'est prise en compte qu'en fonction de la morale et de la vraisemblance.
Pour les critiques, l'action au théâtre est primordiale. Dans le premier acte de la pièce de Hugo, l'action en elle-même n'évolue pas et cela constitue en un problème pour le critique. Le non-respect des règles est alors pris en compte. La critique du XXème et du XXIème s'affranchit de cette notion de respect des règles et l'évolution, par le Nouveau Théâtre, de la place de l'action, révèle une nouvelle conception de l'art dramatique. Ces reproches fait à la pièce de Hugo sont représentatifs de l'époque où , malgré une lente évolution, les Anciens proclament un respect des règles et un modèle Antique qui s'illustre par celui des règles classiques.Plus que le vrai, c'est le vraisemblable qui compte. Les accusations d'invraisemblances sont légions, le critique exprime l'idée que les actions des personnages, le drame en lui-même, n'est pas vraisemblable. Les réactions des personnages sont passées au crible : "ce qui est un peu étonnant de la part de ce père inquiet." ,"François Ier entre aussitôt, sans être vu,ce qui ne se conçoit guère", "chose inconcevable, Triboulet ne s’en aperçoit pas!". Ainsi l'écriture du dramaturge est jugée:"Tout autre père que le Triboulet de M. Victor Hugo aurait sur le champ tué le roi ou emmené bien vite sa fille. Point : Triboulet reste là. Toute autre jeune fille que la Blanche de M. Victor Hugo se serait écriée, dans l’horreur de son désespoir: «Fuyons, je suis perdue!» Point: la jeune fille reste aussi, et c’est lentement que son père l’interroge, et lentement qu’elle lui avoue son déshonneur.".
Dès le début de la relativement longue critique (les standards de l’époque nous paraissent bien long aujourd'hui) il est fait mention de la trivialité de l'écriture de Victor Hugo, reproche inhérent à cette vision du "Beau" où tous les sujets bas doivent être évités. La beauté des vers de Hugo semble une maigre consolation pour le critique "Du moins, le langage qu'il met dans la bouche du comte de Saint-Vallier est noble et beau.", le Beau ne peut être séparé de la morale dans la perspective des Anciens. Sont alors convoqués Boileau et Corneille, respectivement représentants du camp des Anciens et des Modernes. Ces arguments d'autorité viennent finir d'asseoir le réquisitoire : "M.Victor Hugo n'est pas un Corneille". La place de la morale dans l'argumentaire des critiques évolue au fil des siècles. D'abord nécessaire et suffisante pour le jugement d'une œuvre, elle apparaît ici relativement nuancée par des considérations esthétiques. C'est cette immoralité condamnée par ses contemporains, cette violence et ce portait grinçant de l'Homme et de ses vices qui fait de cette pièce une réussite.
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Créée
le 13 févr. 2021
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