"Aurélie avait du mal à comprendre, mais on ne compte pas toujours la vie des autres. On commente, on juge à l'emporte-pièce, on se dit qu'on ne ferait pas la même chose si on était à leur place, mais ça ne sert à rien, puisque justement on n'est pas à leur place." C'est sûr le ton d'une confidence bienveillante que Pierric Bailly construit le monologue du "Roman de Jim". Celle d'un homme sur sa vie, celle d'un père sur un fils qui n'est pas tout à fait le sien, et sur le fait d'avoir pu y croire. "Le roman de Jim" est un livre sur l'illusion et la tromperie, sur le fait de croire à quelque chose qui n'existe pas vraiment parce que rien ne l'établit. Le narrateur est un beau-père floué par son amour, qui s'éprend finalement d'une famille qui n'est pas la sienne. Depuis cette forme d'introspection, Bailly parvient à donner corps à son narrateur, entre subtilité et maladresse, et à convoquer avec lui toute l'humanité qu'il charrie. Parfois, nous partageons ainsi d'autres familles que la nôtre. On s'y attache. On en fait partie. Puis tout se brise, et l'on se demande alors à quoi avons nous été attachés... Le livre se révèle dans toute sa tension quand justement cette rupture éclate. C'est là que Bailly fait merveille, en montrant l'errance, les renoncements, les douleurs, la morsure et les hésitations que ce changement implique, c'est là qu'il révèle sa puissance, sa tension. C'est dans ce long parcours en soi, sur soi, qu'il montre avec un ton d'évidence combien la vie des êtres humains est compliquée à assembler. Les ruptures et les changements nous composent, nous recomposent, nous transforment en nous laissant entier, seulement avec des remords et des regrets d'être restés impuissants, incapables de faire autrement. La vie se déroule, comme si nous n'en étions que le boulet. Nous ne sommes pas toujours maîtres de ce à quoi nous tenons. C'est là définition de notre humaine condition. Ce narrateur finalement, c'est un peu nous. C'est là toute sa force qui emporte.