Retombant par hasard sur ce roman qu'on a sûrement tous lu à l'école, je l'ai d'abord acquis par curiosité culturelle. J'ai lu depuis, en plus de la version de Joseph Bédier, celle d'André Mary.


On nous présente souvent dans les préfaces les héros comme extraordinaires, dévoués à la passion amoureuse, auxquels les règles sociales ne s'appliquent pas car leur amour les transcende. Ce n'est pas ce que j'ai lu dans ces romans, d'où une curiosité passagère devenue chez moi une relecture attentive et pleine de découvertes.


Dans un de ces ouvrages sur les femmes du XXIIème siècle, Georges Duby nous dit que lorsque nous lisons un texte médiéval, beaucoup de choses nous échappent, notamment l'ironie et l'humour des situations, les références historiques qui trouvaient échos chez les lecteurs de cette époque. Ce qui était cocasse hier peut paraître tout autrement aujourd'hui.


L'histoire de Tristan et Iseult est plus terre-à-terre que les préfaciers se l'imaginent. Les auteurs mettent en avant le courage et l'amour des amants, excusant leurs mensonges et leurs gestes malheureux par les débordements d'une passion hors-norme, surhumaine, mais les faits restent les faits. C'est donc d'un air perplexe que je lis certains passages qui, en surface, semblent incohérents. Souvenons-nous que la femme d'alors est vue comme une créature fragile et peu fiable, dangereuse avec son attrait pour la sorcellerie, menteuse par faiblesse. Tristan et Iseult relate le désordre social qui peut découler d'une aventure hors des liens du mariage.


Je parlais un peu plus haut de passages étranges. La bonne Iseult, de peur d'être trahie par sa servante Brangaine, mande sous l'effet de l'angoisse trois serfs pour emmener cette dernière dans la forêt et la tuer. Ce passage est censé illustrer une Iseult peu en contrôle d'elle-même, sujette aux débordements meurtriers à cause de sa faible nature de femme. Moi ce qui m'intrigue ; comment se fait-il qu'une femme présentée comme possédant bonté et autres vertus connaissent trois types louches prêts au crime ?


Tristan et Iseult passent leur temps à mentir, tricher, trahir, ou jouer sur les mots. En face, trois barons présentés comme des félons perfides font tout ce qu'ils peuvent pour les déjouer afin de sauvegarder l'honneur du cocu roi Marc, sorte de gros imbécile myope prompt à l'emportement et changeant constamment d'avis, détestant tantôt Tristan et Iseult, tantôt ses plus fidèles serviteurs. Ces trois barons sont donc les personnages négatifs. Curieux.


Pourtant le texte a une cohérence solide. Non celle en surface, parasitée par les opinions de l'auteur pour le lecteur actuel, mais probablement tout en second degré humoristique pour celui d'antan, la cohérence du désordre social dans un monde où, ce que nous ne savons pas forcément si nous ne lisons pas sur cette époque, beaucoup d'hommes étaient frustrés car dans l'impossibilité de se marier. Ils passaient leur frustration dans la chevalerie, et l'amour dit courtois qui consiste à chercher à séduire une femme de haut rang, et inventé, si ma mémoire est exacte, pour éviter le viol et le rapt. En somme c'est une soupape, la femme devant jouer de cet amour sans y céder, afin de maintenir une paix sociale où les passions frustrées et bouillonnantes n'explosent pas car sous le joug d'un jeu de séduction sophistiqué.


Je ne pensais pas m'embarquer dans une sorte de lecture-enquête en achetant Tristan et Iseult, juste retrouver un bouquin lu à l'école dont je gardais un souvenir vague. La curiosité et l'envie de comprendre un vieux texte plein de mystères et de contradictions ont transformé un roman du collège en voyage à travers l'Histoire.

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le 24 janv. 2016

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