Il ne faut surtout pas s'arrêter au titre français et à l'illustration, franchement racoleurs. On pourrait s'attendre à du cyberpunk bourrin dopé aux amphétamines... ce qui ne serait pas faux d'ailleurs, mais juste très incomplet.
Autant le dire tout de suite, Le Samouraï virtuel vaut plus par la description de l'univers qu'il présente que par l'histoire proprement dite, à l'instar de Tous à Zanzibar de John Brunner. Dès 1992 (!!!), Neal Stephenson met en place un "Métavers", planète informatique virtuelle, où chacun peut faire des rencontres, du commerce ou se construire un nouveau chez-soi bien à l'abri dans un avatar fait sur mesure. En gros, l'auteur nous décrit Second Life plus de dix ans avant sa sortie... En ce qui concerne le monde "réel", il faudra attendre un peu afin de savoir si Stephenson est réellement un visionnaire. La société décrite (enfin... l'Amérique du Nord, évidemment) est un conglomérat de petits territoires aux mains d'organisations privées, commerciales, mafieuses ou gouvernementales qui y dictent leurs lois propres. Il en résulte une sorte d'anarchie maîtrisée où les parrains siciliens sont de braves types et les agents fédéraux des ordures à faire passer Staline pour un enfant de chœur. Un programme réjouissant.
Sauf que c'est souvent un peu lourd à la lecture. Le livre est plutôt long (presque 600 pages) et certains passages nous le font ressentir. La faute à une intrigue un peu bancale qui alterne constamment entre le premier et le second degré, laissant le lecteur le cul entre deux chaises. L'auteur veut brasser beaucoup de sujets différents et fondamentaux (le langage, la religion, la manipulation, les libertés, la technologie ...) et a parfois tendance à les survoler, malgré des idées excellentes à la pelle. Le Métavers est sous-exploité. Les personnages sont beaucoup trop caricaturaux. C'est voulu mais on reste en-dehors : le héros protagoniste se nomme... Hiro Protagoniste et alors qu'il est présenté comme un loser, on découvre qu'il n'est ni plus ni moins que le meilleur hacker et sabreur du monde. Alors oui, il est marrant et ne manque pas de charisme, comme la plupart des autres personnages... mais cela donne une teinte artificielle au tout. Heureusement, la base historico-ésotérique qui réécrit brillamment le mythe de la Tour de Babel dans une analogie maligne entre les langages humain et informatique est absolument passionnante.
La Samouraï virtuel est un très bon livre de science-fiction, moins accessible qu'il n'y paraît, et Neal Stephenson maîtrise parfaitement son sujet. Mais est-il un bon raconteur d'histoire pour autant ? Rien n'est moins sûr.