Dans un futur proche, Orvo, entrepreneur finlandais de pompes funèbres et apiculteur amateur, constate que deux de ses ruches sont vides. Ce phénomène a déjà atteint massivement les États-Unis, provoquant l’écroulement de la production agricole et le basculement de l’Amérique dans une crise sans précédent. L’Europe n’est pas encore touchée, mais cette disparition ramène Orvo à ses problèmes familiaux, à son fils militant ayant basculé dans l’activisme écolo, à son père qui a fait fortune et qui possède des élevages industriels. Jusqu’au jour où il découvre, chez lui, que le contact avec une reine morte lui ouvre une porte vers un univers parallèle.

Johanna Sinisalo est un personnage à part dans la science-fiction mondiale. Seul auteur finlandais de renommée internationale, deux de ses romans ont été traduits aux États-Unis ; elle est à l’origine de l’histoire du film Iron Sky, comédie délirante à base de nazis sur la face cachée de la lune ; ses livres sont édités en France par Actes Sud dans la collection Lettres Scandinaves plutôt que par un éditeur de genre ; enfin (et ceci explique peut-être cela), ses récits sont toujours à la limite, aussi bien des genres que des thématiques sociétales ou politiques, avec une préoccupation environnementale et une opposition marquée entre la modernité et la nature.

Dans l’excellent Jamais avant le coucher du soleil, un journaliste homosexuel branché, qui avait recueilli chez lui un pauvre troll que des gamins avaient tabassé, développait une relation équivoque avec cette créature. Dans Oiseau de malheur, des randonneurs partis en Nouvelle-Zélande sombraient dans la détestation et la folie jusqu’à l’incendie rédempteur. Le sang des fleurs nous conduit vers d’autres extrémismes : l’élevage industriel et la surexploitation de la nature d’un côté, l’activisme conduisant à l’écoterrorisme de l’autre.

Au travers d’Orvo et de sa famille peu reluisante (lui est asocial, son père est cynique et manipulateur, son ex-femme est faible et perdue), Sinisalo nous décrit un milieu profondément sombre et anxiogène. Sa seule porte de sortie, un univers parallèle pur, cache un lourd secret. Incapable d’assumer son rôle, il fuit ses responsabilités lors de la crémation de son fils, une scène particulièrement dure et bouleversante. Si ce fils semble plus courageux et son combat écologiste sympathique, on le voit se durcir et sombrer dans l’outrance jusqu’à sa fin tragique. C’est là que se trouve la grande force de Sinisalo : elle conduit les personnages dans des situations absurdes et extrêmes, les laisse dépasser les bornes, tenir des propos limites, sans que cela sonne faux ou artificiel. L’écriture est juste, efficace et crée le malaise. Un tour de force certain, pour peu qu’on ait envie de se faire malmener. Ajoutons à cela un futur proche (malheureusement) crédible et on comprendra que Le Sang des fleurs fait partie de ces romans qui marquent durablement le lecteur.

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le 3 juin 2013

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rmd

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