"- Tiens, salut ! Alors toi aussi tu fais de la figuration sur le tournage du "Sceau de Satan" ? Je te demande pas qui tu joues, hein ? Jolie hallebarde ! Quant aux culottes bouffantes...
- M'en parle pas, j'te dis pas la galère quand je dois aller pisser. Et toi, tu joues qui ?
- Le bourreau.
- Veinard. Mais, attends, il est pas censé porter une cagoule sur la tronche, le bourreau ?
- Pas dans l'Allemagne de 1630 faut croire. Tu m'diras, j'aurais préféré parce qu'à la place j'ai cette espèce de fraise à la con qui m'donne l'impression d'être de Funès dans "La Folie des Grandeurs". Super inconfortable, ça me coince la pomme d'Adam, tu vois, là ?
- Ouais, pas cool. Et t'en penses quoi, toi, de la minette américaine qu'ils ont choisi pour le rôle principal, celui d'Elodie von Sittenfeld ?
- Mignonne mais à mon avis un peu trop vieille pour le rôle.
- Bah faut dire qu'ils ont pas eu trop de candidates. Ça va bien pour la première partie, quand faut être sapée comme une princesse, mais ensuite, quand tu passes tout le reste du film à poil, accusée de sorcellerie, torturée par tes bons soins et menée au bûcher, le tout sans doublure, c'est une autre paire de manches !
- C'est clair qu'il est pas tendre le réalisateur, question ménagement de la pudeur. Il a refusé que la scène de l'empalement soit truquée, si elle arrive encore à s'asseoir après ça... J'espère qu'elle palpe du cachet !
- Tiens, regarde, j'crois qu'l'inquisiteur veut te dire un mot, il se radine par ici.
- Merde, il va encore me passer un savon, paraît que j'mets pas assez d'cœur à l'ouvrage dans la scène du marquage au fer rouge. Quel métier, j'te jure..."


Bien, après ce petit prologue destiné à vous mettre dans l'ambiance du roman de Guy Rachet, je peux vous en dire quelques mots plus académiques. "Le sceau de Satan" est le premier volet d'une trilogie historique se déroulant dans les Etats du Saint-Empire romain germanique pendant la Guerre de Trente Ans. Pas d'inquiétude, je ne vous en voudrais absolument pas si vous avez complètement oublié ce conflit européen majeur du XVIIème siècle qui nous prouve, à l'instar de toutes les guerres, que la barbarie et l'obscurantisme ne sont pas à attribuer au seul Moyen-Age.


Agnès von Sittenfeld, comtesse d'Eckstein, veuve d'un chef de guerre sans doute traîtreusement assassiné, obtient par faveur impériale d'ériger sa terre en duché. Sa fille et héritière, la belle et jeune Elodie, va ainsi prendre le titre de duchesse d'Eckstein, ce qui ne plaît pas à tout le monde. Les échevins de la ville et son prévôt impérial, l'ambitieux et redoutable Ortolf von Türheim, accueillent en effet assez mal la perspective de perdre leurs prérogatives au profit de la puissance ducale, et vont ourdir un complot qu'on peut qualifier de maléfique puisqu'il s'agit de faire condamner les deux nobles dames pour sorcellerie, redoutable accusation à cette époque superstitieuse. Elodie, dont la vie jusque là se résumait à l'apprentissage des arts et des belles-lettres et à la découverte de l'amour, va être brutalement entraînée dans la spirale infernale de la plus implacable déchéance sociale, morale et physique.


Âmes sensibles s'abstenir. Sous la plume bien documentée de l'historien et écrivain Guy Rachet, aucune scène de torture ou de violence ne vous sera épargnée. Ici, les héroïnes sont bien malmenées, ce qui contribue pour beaucoup au suspens ; jusqu'où ira leur chute ? Dans une société précaire où la guerre tient le grand rôle, où les conflits d'intérêt et la soif de pouvoir rongent les plus opportunistes des sujets impériaux, où l'obscurantisme forcené d'une poignée de fanatiques encourage la chasse aux sorcières et où l'on torture à l'envi bien des innocents, attendez-vous à tout et surtout au pire.


La force et la beauté de ce roman vient également du fait que derrière l'action émerge la beauté d'une époque florissante pour les arts et les lettres. Dans la première partie du récit, l'auteur se complaît à planter son contexte en profondeur et fait partager au lecteur l'éducation princière que reçoit une jeune femme de haut rang : poésie, philosophie, rhétorique, littérature, musique... dans tous ces arts se trouvent la justification d'un mode de vie certes idéal mais aussi totalement inégalitaire. L'auteur nous convie à partager ses pensées et ses réflexions sur le siècle baroque - le fameux Siècle d'Or espagnol - tout en contrastes et en paradoxes, et largement méconnu du public.

Gwen21
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le 18 oct. 2012

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