Incontournable Juin 2022



Je vais manquer d'originalité ici en mentionnant que ce roman se démarque avec sa couverture sensationnelle, il faut bien l'avouer. J'aimerais bien que les illustrateurs de ma province s'en inspire, on est pas très doués en couverture au Québec, il me semble. Restait à voir si le roman est aussi savoureux que son enrobage, et sur ce point, c'est assez réussi. Sorte de polar surnaturel, le récit nous mène dans une petite ville sinistre bordé par une forêt et sur le thème central de la sororité.



Ce n'est pas toujours facile d'être la cadette d'un duo de sœurs, surtout quand ladite sœur est un prospect athlétique de haut niveau en patinage artistique et qu'il faut, pour amenuiser le transport, déménager plus près des installations sportives. C'est le cas d'une jeune fille états-unienne, Fiona Crane, qui se serait bien passée de tout ce barda dans sa vie, d'être éloignée de ses ami.e.s et de sa maison, troqués pour une petite ville de la Nouvelle-Angleterre, au Massachusetts, qui a l'air sinistre et qui ne semble cultiver un certain dédain pour les nouveaux venus, hier comme aujourd'hui. Heureusement, en dépit d'une maison grinçante et un réseau d'amis éloignés, Fiona découvre que la petite municipalité a au moins une superbe bibliothèque, une grande demeure léguée par la dernière de la famille Chisholm, Margaret. Quand elle pénètre dans la section des romans noirs, elle découvre un livre sans son code, sans couverture de protection, relié, à la couverture en tissu vert, intitulé "La disparue". Le récit d'un duo de sœurs, dont l'une est portée disparue. Cet intrigant roman lui vaudra quelques temps d'attente à la maison, puisqu'elle ne peut le ramener, mais quand elle décide de le ramener chez elle subtilement, elle découvre que ce roman est incomplet. En investiguant davantage, elle comprend que cette histoire de sœurs prend place dans la petite ville et que ces protagonistes ont existé. Reste à savoir pourquoi le roman semble se déplacer de lui-même, qu'une chambre d'enfant reste intact au troisième étage de la bibliothèque et que des personnes supposés être défuntes semble croiser sa route.



C'est sans doute en raison de mes nombreuses lectures, mais à un certain point, je voyais les choses venir. Reste que c'est bien amené et très intriguant. Et pour mes jeunes lecteurs, ça risque d'être inédit.



Le cadre me rappelle les romans d'épouvante, avec sa petite ville qui n'aime pas les étrangers, sa forêt peuplée d'ombres et cette famille riche qui cultive le secret loin des fouineurs. Mais c'est surtout un roman d'investigation avec un axe surnaturel, la faute aux fantômes. Ils sont d'ailleurs très consistants pour des fantômes!



Mon intérêt premier revient au livre dans le livre, qui me rappelle le journal de Jedusor du second opus des Harry Potter. Quand on dit qu'un petit objet peut avoir autant d'importance...Le principal élément qu'on peut souhaiter savoir est "qui est son auteur"? Et comment se déplace t-il donc ce livre? Pourquoi est-il non répertorié dans la bibliothèque? Pourquoi la bibliothécaire semble-t-elle si déterminée à faire cesser sa lecture par la jeune lectrice? Bref, il est intriguant ce petit roman.



Le thème de la sororité est central. Il se fait écho grâce aux deux groupes de sœurs: Astrée et Perle, Arden et Fiona. Les deux dyades ont leurs enjeux, mais dans les deux cas, la cadette se sent abandonnée par l’ainée, pour des motifs différents. Il était donc assez aisé pour le personnage de Fiona d'adhérer à cette histoire dans le roman où une cadette se faisait mettre de côté par son aînée, puisque qu'elle ressent des émotions similaires. L'impression d'être moins importante est l'impression générale, comme si la plus vieille avait un statut privilégié. Fiona comme Perle perçoivent que leur sœur plus vieille est prise davantage au sérieux et ont cette façon d'avoir plus de considération de la part des autres personnages, surtout les adultes. Mais au final, le lien sororal est parfois plus fort que tout. C'est une forme d'amour, il ne faudrait pas l'oublier, et comme les autres formes, elle transcende parfois les limites du raisonnable et de l'égocentrisme.



Le thème de la pression de performance juvénile est assez actuel. Arden est une athlète, elle a donc des entrainements intensifs, beaucoup de pression sur les épaules et elle a conscience que sa famille fait des sacrifices pour lui permettre de réaliser son rêve. Néanmoins, c'est aux parents que revient le soucis de veiller au bien être de leur cadette, qui se sent négligée. C'était intéressant d'ailleurs de voir l'"esprit" de Fiona s'obscurcir contre sa sœur, lui faisant des mauvais coups ou souhaitant la déstabiliser mentalement.



Le thème du deuil est un peu moins évident, mais il est bien là. On le comprend vers la fin. Attention, je divulgâche un peu ici. On apprend à la fin que la vie de Margaret ( Alias "Perle") est profondément lié à la disparition de son aînée, Esther ( Alias "Astrée") N'ayant pas vu sa sœur périr à proprement parlé, sa psychée s'est attelée à consolider un mensonge, aussi bien pour se défaire de l'impression d'être la cause du décès possible de sa sœur que pour survivre à l'éventualité qu'elle ait réellement disparu pour toujours. Parfois, les mensonges deviennent vérité pour la personne traumatisée. Parfois, la culpabilité est moins pire a supporter que le deuil d'un être qu'on aime profondément. Cette dimension du roman est sincèrement touchante, quand on réalise que cette petite fille a vécu toute sa vie avec l'idée qu'elle a peut-être été la cause du décès de sa sœur, tout en songeant en même temps que le ravisseur l'a peut-être vraiment eue? Un flou jamais résolu qui a gardé l'une et l'autre entre deux états. C'est en outre ce double narratif qui cré l’ambiguïté dans l'intrigue. Toutes les questions y sont liées.


Entre autres thèmes secondaire, nous avons l’intégration dans les petits villages parfois difficiles, avec la famille Chisholm, mais également la bibliothécaire aux accessoires funkys. On mentionne en outre quelques petits éléments des univers archéologiques, historiques et bibliothéconomiques.


D'ailleurs, le livre est dédié aux bibliothécaires.


Concernant les personnages, je dois dire dans un premier temps que Fiona n'est pas "gentille", elle déplace mal ses émotions négatives et se déresponsabilise de ses mauvaises actions. J'apprécie de voir que même des héros et héroïnes ne sont pas tous des modèles de vertu, mais peuvent apprendre de leurs erreurs. Fiona devra bien se rendre compte de la charge mentale que subit Arden et de la puérilité de ses actions contre elle. Arden, pour sa part, devra bien se rendre compte qu'en ne laissant pas de place à Fiona, cela risque de lui couter sa relation. Tout cela, en fait, est le résultat d'un manque de communication. Bref, les deux sœurs ont leurs nuances, tout comme les sœurs Chisholm. Un bon point pour ces personnages.


J'ai trouvé les parents molasses pour leur part, un peu trop "suiveux" et un peu bénets pour des intellectuels. C'est hélas une tare souvent présente dans les polars jeunesse, autrement les jeunes personnages ne pourraient pas faire toutes les investigations folles et les actions dangereuses dans le récit.


Ah ,le personnage de Charlie m'aura bien fait rire. "Monsieur-je-sais-tout-et-je-l'assume, rare personnage intellectuel qui n'a pas de lunettes, mais qui a vraiment du progrès à faire sur les habiletés sociales. J'apprécie qu'il n'ait jamais été un potentiel prospect de petit copain, une composante à craindre quand le personnage principal est féminin.



Sur la structure, j'ai apprécié la façon de l'autrice de détourner certaine pistes sans toutefois les rendre caducs. Tous les indices ont une part de vérité, mais il faut juste les tourner un peu pour qu'elles s'emboitent dans la vérité finale. La seule chose qui m'a semblé facile est le moment vers la fin où un certain personnage s'en prend à Fiona. Ça sentait un peu trop l'excuse à trouver une façon de faire sauver Fiona par sa sœur.



En conclusion, est un bon petit roman, qui a une plume bien menée et une intrigue bien calibrée. Était-ce novateur? Non, ce genre de contexte et de décor, j'ai déjà vu, et le "secret" aussi. Reste que dans son genre, il est tout-à-fait recevable et constitue un bon point de départ pour ceux et celles qui voudraient s'initier au genre. Une fois lancé, ça se lit aisément et cultive son mystère tout du long. Je pense que mes jeunes amateurs d'histoire de fantômes en librairie font en raffoler.



Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans.

Shaynning

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