Incontournable Roman jeunesse Décembre 2023

Après avoir apprécié l'univers créatif et les personnages intrigants de l'autrice canadienne Heather Fawcett, dans "Le Chant des fantômes", me voici dans "Le secret des sorciers", dont le titre était franchement plus pertinent en anglais ( L'école entre Hiver et le monde des fées [ The school between Winter and Fairyland] ), car il n'y a pas qu'UN secret dans ce roman, il y en a plusieurs et le "entre Hiver" désigne un aspect important de l'histoire. La couverture de la version anglaise comme la version française semblaient promettre une sorte de tandem entre une version jeune de la Reine des neiges et d'une version alternative de Harry Potter, mais Dieux mercis, ce n'est pas ça! C'est beaucoup mieux que ça!

Dans un monde Fantasy où les magiciens de L'Éryrée se scolarisent à Bonâtre, depuis quelques temps, la forêt qui la borde, Bois-Plaisant, ne porte plus bien son nom. Une sombre rumeur semble la parcourir, un mal intangible rend ses arbres et animaux plus agressifs et fragilise l'économie du pays. Pire, un jeune Gardien de monstre y a disparu, il y a de cela un an. Winter Malog n'a cependant pas simplement disparu aux yeux de sa flamboyante jumelle, Automne, qui n'a pas perdu espoir de le retrouver. Cependant, rien ne semble cohérent dans cette histoire, entre les preuves retrouvées à divers endroits éloignés et l'inertie de la famille Malog à le retrouver. Jours après jours, entre ses tâches de gardienne de monstres, entourée de ses nombreux frères, Automne cultive l'espoir de retrouver son petit frère. Quand la célébrité des magiciens, Cai Morrigan, vient lui demander de l'aider à vaincre sa phobie des dragons, Automne en profite pour solliciter de l'aide dans son enquête. Seulement, Cai est pressé dans le temps, puisqu'une prophétie stipule qu'il vaincra le Dragon Creux, incarnation maléfique qui hante les bois, à l'hiver approchant. Quand à Hiver, coincé quelque part entre deux états, le temps joue également contre lui, car les limbes qui l'entoure s'en prennent à sa mémoire. Entre un boggart égocentrique, un magicien doué condamné à sauve le monde, une grand-mère coriace qui ne s'en fait pas passer une facilement et un univers divisé entre magiciens et domestiques, les investigations d'automne ne vont pas simplement s'axer sur la recherche d'Hiver, mais sur les fondations de l'identité de Cai et de son école, moins certaines qu'on le croit.

J'avais craint d'être tombé sur une centième variation de Harry Potter, parce que je compte plus les écoles de magie et les Héro prophétiques. Cependant, on bifurque lentement vers autre chose, un "autre chose" qui implique une boutade de prophétie, des sorciers qu'on a laissé se déscolariser par snobisme magique et une "Héroïne" qui n'en est pas une, a priori. Il y a de la bousculade de conventions et ça , j'adore! Et pas que dans le scénario, dans les archétypes de personnages, ainsi que leurs interactions aussi.

Dans les personnages, nous avons bien sur notre anti-héroïne. Caractérielle, décidée, un peu bourrue et pas franchement commode, Automne a le tempérament d'acier de sa grand-mère et n'accepte pas facilement qu'on la musèle ou pire, qu'on la contraigne. Elle est néanmoins craintive face aux Élites dont font parti les magiciens, qu'elle et sa famille servent en tant que "gardiens de monstres". Automne refuse d'abandonner son petit frère jumeau à son sort et rien ne la fera changer d'avis. Peu à peu, on découvrira aussi que son courage n'est pas sa seule force. Elle est loyale, solidaire et ne craint pas de bousculer ce qui lui semble incohérent. En outre, et là je salue bien bas l'autrice d'avoir fait d'Automne une fille lucide sur cette question: Automne sait reconnaitre les comportements d'amitié de ceux qui n'en sont pas. J'y reviendrai.

Automne, notre "anti-héroïne" ne fait pas les choses comme elle le "devrait". Elle prend de drôles de risques, elle ne sollicite pas l'aide qu'elle devrait, mais en même temps, on sent chez elle une farouche envie de changer les choses autours d'elle, surtout par rapport à Cai. Elle refuse le statu quo également. Enfin, Automne détonne même physiquement. Sans cesse "crotté", travail en nature oblige, elle a des cheveux blancs, une voix qui porte et n'est pas douée pour les contacts sociaux, toujours un peu bourrue ou indélicate, surtout avec sa fratrie. Même si elle continue de nourrir un complexe d'infériorité, Automne fini par prendre carrément les choses en mains devant le final peu reluisant qui se profile devant Cai. Une sacrée tête de pioche! Mais en même temps, on peut la comprendre: Les héros dont on a besoin parfois ne sont pas ceux.celles attendus, mais ceux qui oseront ou penseront à ce que tout le monde ignore ou font mine d'ignorer.

À partir d'ici, il y aura des divulgâches.

L'autre personnage central est bien sur Cai, le célèbre magicien devant vaincre le Dragon Creux et qui est connu de tout le monde dans son école. Tient, un peu comme un certain autre jeune étudiant que je ne nommerai pas. Heureusement, plus on apprend à le connaitre, moins il tient la comparaison. D'une politesse presque outrancière ( un peu comme le cliché du canadien typique, en somme!) et ayant la réputation d'aider tout le monde, Cai a de lourdes responsabilités sur les épaules et semble oublier ses propres besoins. Ce n'est pas tous les jours qu'on voit un personnage masculin avoir ce degré d'abnégation et de maturité, surtout à 12 ans. Ce qui est d'autant plus vrai quand on apprend que Cai n'est pas humain, alors qu'Automne réalise avec stupeur qu'il est capable de résister à son Langage, cette communication qu'elle n'est capable d'avoir qu'avec les monstres. On a donc un monstre qui a un cœur humain ( tient, ça me rappelle "This savage song, de V.Schwab). Cai a en autre une belle humilité et étant d'origine modeste bien qu'élevé dans le confort en raison de son statut d'Élu, ne se place jamais au dessus des autres. Il a d'ailleurs la capacité de reconnaitre la valeur des autres et devient un ami véritablement empathique et sain pour Automne, qui en a bien besoin. Franchement, Cai va rester dans mes plus beaux personnages masculins pour toutes ces raisons. Toute la flopée de bad boys couillons qui sont légion en littérature actuellement devraient s'en inspirer. Enfin, je note que Cai pose le vieux combat entre biologie et valeurs: Ce que nous sommes nous définie-t-on ou a-t-on un pouvoir de décision en raison de nos valeur et de nos choix? Clairement, même si sa nature est monstrueuse, Cai a un coeur très humain et ses choix comme des comportements tournent en ce sens.

Si il devient évident qu'Automne et Cai deviennent un binôme d'amis superbement complémentaire et sain, teinté de frateromance , il y a un autre personnage avec qui la "sanité" de la relation amicale est questionnable. Le personnage appelé "le boggart", créature aux grands pouvoirs d'âge millénaire ou presque, sans corps et donc multiforme, est un membre de la famille Malog depuis des générations. Il s'attache toujours à l'un des Malog en particulier et c'est Automne qui a eu sa préférence cette fois. Le boggart est un être monstrueux dans le sens strict, mais qui a tendance à se montrer monstrueux au sens figuré. Égocentrique, roublard et souvent imposant, il répète à plusieurs occasions qu'un jour, il épousera Automne, comme un fait. La jeune fille élude le tout, comme s'il divaguait. Néanmoins, elle doit sans cesse le ramener à l'ordre, car le boggart fait plusieurs petites crises de jalousie ( et on se rappelle que la jalousie n'est PAS un ingrédient de l'amour ou de l'amitié, ce n'est pas bon signe si cette émotion est présente). Là où j'avais des craintes, parce que ça arrive beaucoup trop souvent dans les fictions, c'est au passage du bal. À un certain moment, Automne tombe sur le boggart, dans sa forme humaine d'adolescent ténébreux aux vêtements presque royaux, le vrai stéréotype du prince obscure possessif, en somme. Il s'impose non seulement pour une danse, mais révèle qu'il a permis au Dragon Creux de venir prendre Cai, parce que ça l'arrange de briser leur amitié et Cai partir au loin. ET là, la réaction d'Automne: La furie. Loin de s'être fait berné par son physique et clairement pas stupide, Automne est furieuse contre le boggart, arguant que son comportement n'est PAS de l'amitié, et ce même quand il prétend le contraire ( belle tentative de manipulation, boggart!). Je suis tellement soulagée qu'une autrice ait su traiter de ce genre "d'amitié" toxique comme ce qu'elle est, c'est-à-dire toxique. Le boggart n'est pas strictement méchant, mais il ne sait pas ce qu'est être "ami". Être ami, ce n'est pas de lui faire faire ce qu'on veut, ce n'est pas lui dire ce qui est bien pour lui à sa place ou choisir ses amis à sa place. L'amitié est comme l'amour: la confiance, le respect, la complicité, l'altruisme, la solidarité, l'écoute et le plaisir partagé. Automne et Cai partagent ensemble, travaillent ensemble, ils ont à coeur le bien être l'un de l'autre, prennent des risques l'un pour l'autre ( notamment sur leur statut social). Surtout, ils sont "bien" l'un avec l'autre, alors que le boggart tend à tout ramener à lui, tend à manipuler et surtout, demande des paiements, on est donc dans un certain niveau de transaction relationnelle. Fwacett semble maitriser très bien les bases d'amitié et je ne peux que m'en réjouir, vu que je vois beaucoup plus souvent le contraire, des autrices qui glorifient des relations malsaines, d'amitié ou amoureuses.

La magie de cet univers est fascinant. Il y a d'une part la magie des magiciens, les enchantements et les bâtons magiques, qui sont souvent traités comme du papier. On peut la coudre, la plier, la cacher sous plusieurs autres couches, elle donne l'impression d'être malléable. Elle prend aussi al forme de liquides de soleil, d'étoiles ou les autres sources de magie. Elle fait scintiller tout sur son passage et sert aussi bien le pratique que le parfaitement inutile. La magie des magiciens est celle de Bonâtre, mais il n'en fut pas toujours ainsi. Autrefois, dans les tours-nuages, on formait un autre groupe, les Sorciers de haie. Potions, langage et remèdes étaient leur lot, plus en phase avec la Nature que les magiciens. Les sorciers et sorcières de haie étaient considérés comme inférieurs et furent privés de scolarité, devenant des parias. La seule trace qu'on leur reconnait est leur capacité à parler et ordonner aux monstres via le Langage. Langage que possèdent tous les Malog. Et oui, Automne et ses frères sont sorciers de haie, ça fait parti des éléments importants du récit. Elle n'a donc pas à rougir de vouloir apprendre la magie, elle en a une part au fond d'elle. Cette vision du clivage magique est intéressante, comme si le savoir de la nature, moins clinquant et grandiose, était snobé par les magiciens.

En outre, la Nature elle-même est présente dans l'Histoire. La forêt est décrite comme une entité, pas seulement comme un lieu. Ses habitants semblent respirer à la même source et la présence d'une aura toxique, celle du Dragon Creux, leur nuit à tous et corrompt leur état.

Ce qui m'amène à parler de l'antagoniste principal, le Dragon Creux. On ne le verra qu'à la toute fin, mais ce dragon est en réalité mort. Il est habité par un monstre rare, qui se nourrit d'âmes. Cette entité est en colère et cherche quelqu'un: Cai. La prophétie est donc très mal construite ( d'ailleurs, Automne fini par ne plus y croire) car la réalité est beaucoup plus nuancée. Cai n’est pas phobique des dragons pour rien, il est en réalité traumatisé. Les visions qu'il croyait du futur sont en réalité du passé. Le Dragon creux est habité par la même espèce que lui. Ils sont frères et depuis près de 13 ans, le grand frère cherche son petit frère, qu'il ne peut atteindre, car celui-ci vit dans l'école de magie qui lui est défendue. Cai est un monstre qu'on a soudé dans le corps d'un petit garçon, né au moment où il a été capturé par le directeur de l'école. Ainsi, le directeur gardait un oeil sur un monstre jusqu'alors inconnu, pour l'étudier, sans le moindre remord pour le petite garçon privé de son corps qui servait maintenant une entité monstrueuse qui ignore tout de sa propre nature. Il n'y a donc pas de "Gros méchant" dans cette histoire, autre qu'un directeur qui a prit une très mauvaise décision, un grand frère en colère qui cherche son frère et des magiciens hautains qui ont privé de leurs savoirs des générations d'enfants sorciers de haie. Et un boggart qui a encore beaucoup à apprendre du cœur humain. J'aime toujours les histoires en nuances comme celle-ci.

Finalement, Cai finira par retrouver son grand frère, puisque sa nouvelle "faim" pour les âmes le rend dangereux ( à ses propres yeux surtout). Automne, après de nombreuses péripéties avec Cai, aura retrouver son précieux jumeau, prisonnier d'un état secondaire, alors que son âme a été séparée de son corps par le Dragon Creux. Dans l'impossibilité de concilier les deux, la GRand Mère d'Automne et le Directeur ont tenus secret les corps retrouvés des victimes du Dragon Creux, du moins pour trouver le moyen de les sauver. Heureusement pour Hiver, Automne ne l'a jamais abandonné et grâce à Cai et ses pouvoirs de monstre, il aura été "raccommodé". Automne trouvera le moyen de faire promettre à Cai de venir la voir de temps en temps, entre ses nouveaux cours à Bonâtre en tant que sorcière de haie et le temps passé avec sa famille.

C'est un bel univers comme je les aime, avec des subtilités relationnelles, une magie détaillée et un scénario rondement mené, sans qu'on puisse tout deviner facilement. J'ai adoré la qualité des relations entre les personnages, pas toujours les plus adroites ( les Malog étant tous assez bourrus, sauf Jack et Hiver), mais quand vient le temps des choses importantes, ils savent se tenir. Les monstres de cet univers sont aussi créatifs et nuancés, dangereux pour la plupart, comme le sont d'ailleurs bien des animaux sauvages. Le tout est de savoir comment les traiter et de leur montrer du respect. Comme le faisait remarquer une Lectrice, ici, on adresse les monstres pour ce qu'ils sont: Mangeurs de chaire, dévoreurs de coeur, bref, mortels. Respect donc, pour ces créatures dont on fait parti de la chaine alimentaire. Cela confère au roman une dimension sombre, mais en même temps, plus crédible. Le duo d'Automne et Hiver était vraiment touchant. Pour le peu de temps qu'on leur consacre à la fin, on devine sans peine leur grande chimie. Un bel amour fraternel. Mention spéciale aussi à la Grand-Mère Malog, une vraie de varie "dure-à-cuire". Nous avoir pléthore de beaux thèmes comme la famille, l'équilibre naturel, les classes sociales inéquitables, le courage, le travail d'équipe et même , l'absurdité des prophéties. Après tout, elles ne deviennent vrais que si on y porte attention. Automne s'est fait une joie de la mettre en échec.

C'est donc une nouvelle pépite issu du Canada anglais qui va rejoindre les rang de la Haute Fantasy Intermédiaire.

Pour un lectorat Intermédiaire du 3e cycle primaire, 10-12 ans+

Créée

le 4 janv. 2024

Critique lue 6 fois

Shaynning

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