Je ne saurais pas donner de date exacte, mais des points de repère mémoriels me permettent d'affirmer que j'ai lu cet ouvrage il y a plus de 35 ans. La lecture en était une épreuve que je m'étais décidé à mener jusqu'au bout. Mon père l'avait lu, mon frère l'avait lu, ils ne cessaient de vanter la grandeur de cette œuvre incontournable et ce dernier s'était même mis à se procurer des livres de jeux de rôle. Je m'y suis pris à trois fois pour le finir sur une période de temps qui a duré plus d'une année. La première fois, j'ai été jusqu'au bout du premier livre ; la deuxième tentative, après avoir laissé passer trop de temps pour garder le récit en mémoire, m'a amené à devoir relire le premier tome pour entamer et finir deuxième ; enfin, à la troisième fois, pour la même raison, j'ai tout repris depuis le début pour terminer l'ensemble. J'étais satisfait, j'avais le sentiment d'avoir lu une œuvre magistrale et il s'imposait à moi, après autant d'efforts, de l'aimer comme telle.

Nous espérions tous une adaptation au cinéma, mais les moyens techniques de l'époque nous interdisaient d'imaginer qu'elle puisse être à la hauteur de nos attentes. Il y avait bien eu un petit film d'animation que j'avais loué sur un support VHS à la Médiathèque, mais le résultat fut si décevant que je n'en ai gardé aucun souvenir. Plus de dix années plus tard, avec les progrès des effets spéciaux, l'annonce de la version de Peter Jackson me remplit de joie. Je me précipitai au cinéma pour aller voir ce film dès sa sortie. J'en ressortis pleinement satisfait et j'en vantai les mérites à tout le monde, fort d'avoir lu le livre et de pouvoir annoncer que cette adaptation était parfaitement fidèle, jusque dans les détails, à l'oeuvre littéraire tant dans l'esprit que dans la lettre.

Bien sûr, je courus de même dans les salles obscures pour aller voir la deuxième partie. Certes, l'enthousiasme ne pouvait plus être le même, mais, sans être tout à fait déçu, je sentais que je ne participais déjà plus à l'ambiance alors que la fidélité au livre était toujours la même. J'ignorais ce qui clochait et ne m'attardai pas outre mesure à comprendre cette lassitude qui s'était emparée de moi. Comme il se devait, j'allai voir le troisième et c'est là que, avant la fin, la révélation se fit jour, presque une illumination. Au milieu d'une bataille, je commençai à sentir quelque chose m'agacer. La musique était lourde, assourdissante, c'était la musique qui commençait à me gonfler. C'est vrai, il n'y avait pas de musique dans le livre et cela devait expliquer pourquoi je commençais à trouver insupportable de devoir rester assis dans un fauteuil jusqu'à ce que le générique final me libère de cette épreuve. Et puis, je m'interrogeai à nouveau parce que cette musique était parfaite pour ce film, c'était comme si elle était déjà là dans le livre depuis le début. Pompeuse, ronflante, interminable, elle sonnait comme une métaphore bien adaptée aux discours amphigouriques des protagonistes qui se succédaient dans la narration de l'épopée funeste des siens. Tout cela correspondait également aux descriptions tant des personnages que des paysages, des contrées, des montagnes dans un fatras indigeste visant à l'exhaustivité des décors et personnages inventés depuis que l'être humain s'abreuve de fables, de contes et de légendes.

C'est ainsi que, à rebours du temps, le récit se révelait à ma mémoire comme un de ceux que j'avais le plus détesté lire. L'illusion de l'avoir apprécié ressemblait à celle qu'un étudiant peut ressentir après avoir étudié un cours universitaire indigeste, mais dont l'effort fourni pour en arriver au bout lui avait apporté une excellente note à l'examen et la satisfaction du devoir accompli. Plus tard, l'étudiant est passé à autre chose et a oublié ce cours, mais un jour l'occasion lui est donnée d'y repenser et c'est alors qu'il comprend qu'il était aussi mauvais que pénible était l'effort à fournir pour le terminer avec fruit, un ramassis des plus gros clichés glânés par un professeur au savoir encyclopédique dont la réputation ne tenait qu'à l'effet de mode que la matière enseignée lui avait valu pour un temps sans cesse renouvelé. À y repenser, ce laborieux enseignant et son oeuvre ne méritaient pas qu'on s'y attarde aussi longuement.

Quand j'ai commencé il y a quelques jours à apporter un peu de matière à mon profil sur SensCritique, j'ai mis Le Seigneur des Anneaux dans ma liste et je lui ai donné une cote de 4, après avoir hésité à donner 5 pour ne pas laisser un trop grand l'écart avec la moyenne des notes attribuées y comprises celles de gens très sérieux et aiguisés à la critique à côté desquels je ne peux que faire figure d'amateur. Après avoir rédigé ce commentaire qui me remet en mémoire la révélation que j'y ai décrite, j'ai redescendu la cote à 3, je ne peux pas mieux faire.

Brahim-Ski
3
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le 2 janv. 2023

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Brahim-Ski

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