En général, je me méfie beaucoup des "maîtres à penser". Encore plus que des maîtres tout court. Il y a dans cette expression un germe de destruction qui peine à se dissimuler. Donc, j'ai abordé la lecture du très connu Krishnamurti avec tout la prudence qui s'imposait. Ce petit livre, lu au format .2, que j'aime beaucoup, m'a été un compagnon de voyage agréable, en fait. Non pas qu'il soit particulièrement soigné du point de vue du style, mais le découpage en chapitres consacrés à de grands thèmes (le problème de la liberté, l'esprit attentif, etc.) le rend accessible de façon immédiate, et Krishnamurti y expose sa pensée avec grande clarté. Après, on ne peut pas dire qu'il ne soit pas donneur de leçon, ça peut agacer. Mais il s'adresse à un auditoire jeunes, des élèves indiens à qui il a rendu visite dans leurs écoles, et il s'efforce de calibrer son expression à leur capacité de compréhension. Ce qui ne l'empêche pas de les tancer vertement quand ils posent des questions idiotes ou à la portée terriblement terre-à-terre. Mais ça ne fait pas de mal de se faire secouer un peu, à vrai dire, et on peut, avec un peu de lucidité, accueillir dans nos jardins aussi les pierres qu'il lance dans le leur. Parce qu'il tente d'ébranler la paresse de ces jeunes esprits et de leur ouvrir la voie d'une réflexion vraie, rebelle, voire révolutionnaire, qui remettrait en question toutes les bases chancelantes de notre civilisation moribonde et mortifère à la fois. C'est salutaire. Après, chacun verra midi à sa porte, et je ne sors pas de cette lecture bouleversée ni davantage éclairée. Mais un peu revigorée par le discours intransigeant d'un être qui a eu à cœur de percer les apparences et de rendre à l'homme les manettes de sa vie. Ça n'est déjà pas si mal.