Disons le d'emblée : j'apprécie au plus haut degré le talent de Pierre Lemaitre et chacun de ses romans a été pour moi, l'occasion d'un formidable voyage dans l'histoire de mon pays et dans la vie d'hommes et de femmes embarqués dans une tourmente personnelle ou collective. C'est sans doute en comparaison avec des ressentis plus forts dans ses œuvres précédentes que je suis quelque peu déçue par cet opus. Après le Grand Monde qui nous faisait voyager entre Saigon et Beyrouth pour suivre la famille Pelletier, nous retrouvons ces derniers 4 ans plus tard en arrêt sur l'année 1952. Est-ce précisément parce que ce voyage temporel est bloqué sur une seule année ? Est-ce parce que la grande Histoire est délaissée au profit d'une analyse plus sociologique de la société de l'Epoque,? Mais tout cela manque de souffle.!! On voudrait ouvrir les fenêtres. Non pas que cela manque d'intérêt mais d'envergure, de possible lyrisme. On est englué dans la matérialité. Certes, La destruction d'un village qui sera noyé, englouti sous les eaux d'un barrage est une belle image de la Société qui s'installe à ce moment là : au Service du PROFIT sous prétexte de PROGRES ;mais alors pourquoi les chroniques de cette mort annoncée ne sont -elles pas parvenues à m'émouvoir ? Peut-être la clé est-elle dans le titre : les colères et finalement le silence. De même, le problème de l'avortement pénalisé et traqué, les itinéraires de femmes en difficultés sont intéressants, mais j'ai connu des évocations plus après et plus touchantes de ces "affaires de femmes" que celles traduites ici. Est-ce parce que les membres de la famille Lemaitre se délitent à mesure que l'on avance avec eux ? Tous, se révèlent médiocres, hormis les parents qui gardent une humanité généreuse. François qui fait sa place dans le journalisme n'est pas un homme d'envergure,et sa passion pour Nine (sourde ,alcoolique et cleptomane n'est guère crédible ni même attachante. Hélène restera une enfant gâtée que son idylle avec un bienvenu journaliste de province semblant puisée dans un numéro de Noudeux ne nous rendra pas plus vraie. Et que dire de l'exaspérante Geneviève ? Une somme de clichés de la "bonne femme odieuse" qu'on a envie de gifler à tous moments ! Mon mystère restant bien évidemment Jean le frère ainé serial-killer qui échappe avec une chance et une bonhomie redoutable à toute punition !! Après tout c'est peut-etre cela la grand audace de Lemaitre, ne pas punir les méchants, ne pas rétablir l'ordre attendu, espéré. Quoi qu'il en soit, même si cet opus ne m'a pas soulevée de plaisir par manque d'empathie suscitée, il reste que l'on sort grandement enrichi de la lecture d'un roman de Pierre Lemaitre.