J'ai lu ce roman dans le recueil Terremer intégrale publié par le Livre de poche. On y trouve une postface de l'écrivaine.
Qui apprécie Ursula Le Guin s'attend toujours à tirer de ses oeuvres une batterie de réflexions originales, précises et cohérentes. Ce n'est malheureusement pas le cas ici. Pour quelles raisons ? Le propre de la "fantasy" est de nous faire évader des contradictions douloureuses auxquelles nous soumet notre espèce humaine schizophrène. La philosophie y cède donc le pas à l'épique, guidée par l'action qui simplifie les problématiques. Il est possible que l'auteure ait "oublié" dans sa construction le sens qu'elle donne à ses oeuvres. De plus, Le sorcier de Terremer est un ouvrage commandé par un éditeur pour un public d'adolescents dont les prétendues "attentes" ont bridé la liberté d'action d'ULG, comme elle a d'ailleurs tenté de l'expliquer plus tard.
L'histoire, originale, se déroule dans un gigantesque archipel limité dans l'espace, sous-tendu par des forces magiques et où sont présents les Dragons. L'auteure explique qu'elle en a volontairement exclu la dynamique des guerres, ce qui n'est pas tout à fait exact, comme le lecteur pourra s'en apercevoir. Le héros est un enfant que l'on suit dans son évolution de sorcier vers l'âge adulte. Il se découvre un don exceptionnel, qui deviendra une menace mortelle pour lui-même et pour son univers. Cette dimension initiatique fait tourner le récit autour de lui, car il sera finalement le seul à pouvoir apporter une solution -magique et comportementale- aux problèmes qu'il aura générés.
L'ensemble du récit, accumulation de malheurs pesant sur les épaules du héros, est assez sombre et l'action est une fuite en avant permanente dont on est bien aise de sortir à la fin, tant la destinée du héros est floue et ses épreuves peu porteuses de sens. De la lutte contre les dragons, par exemple, quelle leçon retenir ? Si les dragons sont ces créatures monstrueuses, fourbes, violentes et méchantes, alors le combat de Ged a tout de celui de St Georges, pâle fonctionnaire répressif d'une humanité destinée à régner sur l'univers.
Le sorcier de Terremer est un divertissement initiatique bien écrit et structuré mais qu'il m'a été difficile de m'approprier, surtout après avoir goûté au cycle de l'Ekumen.
Pourtant, dans ce roman aux ambitions aseptisées par le genre et l'éditeur subsiste un élément qui a été repéré par des lecteurs attentifs : l'importance de connaître le "vrai" nom des choses et des gens qui permet d'obtenir le pouvoir sur elles.
Mais là encore il est regrettable que l'explication s'arrête à cette idée, car un défaut des humains est de tricher, et de substituer aux choses qu'ils ne saisissent pas une définition construite sur des a priori. Nous déguisons notre méconnaissance de ce qui nous entoure avec de tels mythes, réalisant une pseudo-connaissance qui nous arrange. Tant d'énergie dépensée à tenter de démêler et comprendre des problématiques que nous avons fabriquées nous-mêmes ! Voilà qui aurait pourtant été une bonne leçon de choses pour les adolescents auxquels était destinée cette fresque.
Ursula Le Guin n'aurait peut-être pas dû être l'auteure de cette histoire trop inconfortable pour elle. Sans doute son manque de foi dans ce modèle masculiniste qu'elle s'est astreinte à exploiter pour des raisons éditoriales -donc vulgaires- est-il la source du malaise qu'on ressent à la lecture de ce récit.