L’intrigue se passe en quatre journées dont le déroulement temporel est fantaisiste - à l’intérieur de la journée on peut compter en semaines ou en années. Avec le Soulier de Satin, Paul Claudel s’échappe de l’unité de temps, de l’unité de lieu et de l’unité d’action chères au théâtre classique. La mise en scène recommande des bateaux, des voiles, des palais, des églises, des évêques, des océans, des pontons mouvants, des nuits de pleine lune.
Tout se passe à l’époque des conquistadors. Rodrigue, intrigant et aventurier de la cour du roi d’Espagne aime Prouhèze, épouse de Don Pélage. Machiavélique, Don Pélage va exiler Doña Prouhèze loin de Don Rodrigue. Elle ira à Mogador, sur la côte africaine pour y prendre le commandement de la place, assistée de Don Camille un cousin de Don Pélage. Malgré des préventions, elle va devenir l’amant de Don Camille, sans l’aimer. De son côté, Don Rodrigue, choisi par le roi d’Espagne - choix de raison et non de coeur : il ne l’aime pas - sera promu vice-roi d’Amérique pour y défendre les intérêts de l’Espagne.
Doña Prouhèze offrira l’un de ses souliers à la vierge afin que, dit-elle, si elle s’élance vers le mal, elle le fasse du moins d’un pied boiteux. Don Pélage, son mari va mourir. Comme une bouteille qu’on jette à la mer, elle enverra une lettre à Don Rodrigue qui passera de continent en continent, portant malheur à ceux qui la touchent. Elle mettra dix ans à atteindre son destinataire.
Don Rodrigue va quitter précipitamment Panama - il nourissait un grand projet de canal - et voguer jusqu’à Mogador. Lors d’une brève rencontre, il recevra des mains de Dona Prouhèze l’enfant qu’elle a eue avec Don Camille, Marie des Sept-Épées. Dona Prouhèze s'en retournera aussi vite pour mourir à Mogador et devenir une étoile éternelle pour Don Rodrigue.
Pour conclure, Don Rodrigue va finir misérablement. Il perdra une jambe en combattant les japonais. Il deviendra colporteur d’images pieuses. Victime d’un stratagème fomenté par le roi d’Espagne, il va tomber amoureux d’une fausse Marie Stuart qui lui fait miroiter la couronne d’Angleterre. Il sera finalement arrêté pour haute trahison par le roi d’Espagne puis vendu comme esclave.
Le fil de l’histoire pose - entre autres et souvent de manière drolatique - la question de la soumission à l’autorité et à l’ordre établi : le valet vis-à-vis de son maître, la femme vis-à-vis de son mari, le prince vis-à-vis de son suzerain, le lieutenant vis-à-vis de son commandant, la servante vis-à-vis de la maîtresse, le fils vis-à-vis du père. La soumission est souvent à front renversé. Impossible de ne pas ressentir la rebellion de l’ambassadeur vis-à-vis de son ministère et le grand jeu géopolitique mondial. Qui d’autre que Paul Claudel, ambassadeur et frère de Camille pouvait écrire ce texte ?
Pour pimenter le tout, la mise en scène et ses ellipses débordent dans l’action, comme si l’envers du décors et les coulisses du spectacle faisaient partie de l’intrigue.
Par-dessus leurs trahisons, leurs infidélités, leurs ambitions, leurs désirs, les héros recherchent une inaccessible rédemption spirituelle.