Le rat me répétait d'écrire une critique meurtrière, pleine d'insultes, de cris et de sang.
Le Sourire Noir est un des livres de Serge Brussolo que j'avais le plus envie de lire, pour la simple et bonne raison qu'il se paie une réputation excellente au sein de ma famille. En effet, il s'agissait là du livre par lequel celle-ci a connu l'auteur, et il leur a donc laissé une impression très marquante.
Depuis le temps qu'on me répète que je dois le lire, je me suis enfin lancé à l'assaut en me plongeant droit dans la gueule du livre.
Le Sourire Noir s'inscrit dans la période "polar" de l'auteur, et raconte l'histoire d'une drogue sévissant en Californie, masquée sous forme de régime miracle. Cette drogue est offerte gratuitement sur le nom d' "Amazing Diet", et permet aux usagers de manger infiniment sans prendre un seul gramme. Mais le produit est perfide puisqu'il rend immédiatement accro, et que s'il empêche la prise de poids c'est qu'il empêche l'absorption des calories... condamnant ses usagers à la dénutrition, bien qu'ils se goinfrent à longueur de journée. Mais la dénutrition n'est qu'une condamnation bienheureuse en comparaison des délires hallucinatoires que provoque la drogue.
Un contexte plus que réjouissant, complètement Brussolien, à la fois glauque, macabre et délirant. Un régal.
Du côté des points forts, on retrouve une aventure très plaisante à lire, riche en rebondissement, en folies, en surprises imprévisibles. Certains monologues intérieurs possédés par la folie sont terrifiants, exaltants, et témoignent comme toujours de l'infinie imagination (flippante) de l'auteur.
Malheureusement, plusieurs éléments m'ont gêné dans ma lecture.
Pour commencer, en introduction, Brussolo nous place dans la peau d'une droguée, pour bien nous faire comprendre la nature du problème. Puis quand l'histoire commence vraiment, on passe par une phase d'enquête beaucoup trop longue pour ce qu'elle raconte... puisqu'on a une longueur d'avance sur le héros !! " Hm...Je crois que l'Amazing Diet empêche la prise de calorie..." U DON'T SAY GENIUS, on le sait depuis la première page, là on est à la centième, allez enchaîne !
J'ai également trouvé par la suite que l'histoire partait dans des délires m'intéressant bien moins, mettant en scène le FBI et la mafia par exemple. Les éléments impliquant notre héros dans cette aventure sont un peu trop extravagants, et il m'a fallut un bon nombre de pages avant d'accepter les divers bases de l'intrigue. Je les trouvais beaucoup trop tirées par les cheveux. Je ne veux rien révéler donc je suis volontairement vague, mais j'ai eu du mal à croire à cette histoire impliquant autant de personnes ayant notre héros pour cible. Heureusement, plus l'histoire se déroule, plus on entre dans le jeu. Les bases deviennent même logiques plus on en apprend sur l'histoire (un bon point, donc).
Mais il n'y a pas que les bases qui m'ont posé soucis. L'enquête en elle-même comporte des éléments un peu trop farfelus, des facilités douteuses, des pseudo-deus ex machina un peu énervant.
Par exemple, le héros doit trouver un lieu en Amérique, et il n'a qu'un dessin pour le guider. Mission impossible ? Oh que non ! La comparse de celui-ci connait un artiste réputé pour connaître l'Amérique par coeur, capable de reconnaître et de situer n'importe quelle maison, rien que par sa mémoire photographique...
... Tu la sens ma grosse facilité là ?
De plus, pour sortir les héros de l'ennui, des interventions d'autres personnages s'avéreront nécessaires ! Des deus ex machina amplement justifié par le scénario parfois, mais pas tout le temps, et par répétition cela devient agaçant.
En outre, les plans du méchant sont déjà extravagants en soi (mais après tout pourquoi pas, si le mec est barge), mais ça devient quasiment ridicule quand les héros les comprennent en une seule proposition, alors que ce sont des putains de trucs impossibles à imaginer si t'es quelqu'un de censé tellement c'est putain d'absurde et de fou. Mais non, les héros sont des génies, et leur supposition tombent justes (en même temps, s'ils avaient faux, qu'ils se rendaient sur place et que c'était pas le bon endroit, le livre serait vite chiant).
Ces éléments m'ont gâché ma lecture, m'empêchant une immersion maximale, puisque je n'arrivais pas toujours à croire les péripéties crédibles. Extrêmement frustrant quand à côté de ça, l'histoire est bien racontée et pleine d'idées intéressantes. L'aventure se termine d'ailleurs avec intensité.
Je ne mettrais pas plus de 6 si je m'arrêtais là. Mais des éléments du livre, annexes à l'histoire principale, m'ont beaucoup plu.
Tout d'abord, le livre critique énormément l'Amérique et son extravagance, son goût de l'abondance, sa self-estime improbable, de manière très cynique. Ces passages sont très plaisant à lire, les portraits y sont efficaces.
Ensuite, il y a dans ce roman une mise en abyme de son propre auteur. Le héros s'appelle en effet David Sarella, et ceux qui connaissent bien les ouvrages de Brussolo sauront que c'est un nom récurant dans sa bibliographie. David Sarella est à mon sens une projection de l'auteur, mettant souvent en scène son enfance très... particulière (avoir une mère schizophrène n'est pas rose tous les jours), mais c'est ici encore plus flagrant. Dans Le Sourire Noir, David est un... écrivain, ayant exactement l'âge de Brussolo l'année où est sorti le livre, et ayant commencé à publier exactement la même année. Le comble du comble, la série phare de David Sarella est la série des Conan Lord... une série dont Brussolo écrira lui-même deux épisodes l'année suivante ! Bref, c'est sans parler du fait qu'ils ont la même tronche, en plus, et que les deux sont réputés pour leur imaginaire débordant. Cette mise en abyme a cela d'excitant que Brussolo se permet de placer de nombreuses critiques des maisons éditoriales, certainement le reflet de ses propres déboires. Ne se limitant pas à cela, Brussolo porte également un regard critique sur son propre travail, et sur le genre de roman qu'il écrit.
Mais là où cette mise en abyme est flippante, c'est dans les pensées que remâche David, celles de son "rat", celui qui lui susurre des conseils glauques, malsains. Peu après nous avoir présenté le personnage, Brussolo nous lâche que Sarella a souvent imaginé amener une mitraillette dans une salle de cours pour flinguer tous ses élèves. Pour le fun.
BORDEL, ça c'est glauque, et putain de malsain, et honnêtement c'est ce que je veux lire quand je lis un Brussolo parlant de la folie. Et c'est clairement le cas dans cette ouvrage. Le versant de la folie y est très bien exploité, les tirades mentales psychopathes sont terrifiantes à en mourir. Et il y en a dans ce livre, et pas qu'un peu.
Ca ne m'étonne donc pas que si on découvre Brussolo à travers ce livre, on en sorte choqué et traumatisé. Mais pour moi qui suis bien plus habitué, c'est au contraire ce que j'attends de lui. Et si à travers le Sourire Noir il a su me surprendre de bien des manières, il m'a également offert beaucoup de déceptions et de frustrations. Ce ne sera certainement pas mon Brussolo préféré, mais Le Sourire Noir est efficace, plaisant à lire et toujours aussi fou. Il vaut la peine d'être lu, malgré ses imperfections, et c'est pourquoi je lui attribue cette note.