J'ai dû lire et relire ces pages qui m'ont toujours séduites, elles n'ont peut-être pas la densité ni la puissance énigmatique des fleurs du mal et on y retrouve un Baudelaire plus familier, comme si l'on passait un bon moment à causer avec lui à la terrasse d'un troquet prenant un café ou une absinthe, une conversation en tête à tête et à cœur ouvert avec le poète ... Il y partage certaines de ses obsessions: la nature du mal (la corde, le mauvais vitrier), Dieu et le diable ( le joueur généreux), les pauvres (le joujou), la solitude, la prostitution (mademoiselle Bistouri) etc ... Je voudrais citer une critique publiée par l'un de ses amis à la sortie du livre et recopiée à partir du dossier de l'édition "petits classiques" de Hachette:
" Ce court chef d’œuvre artistement achevé,où, dégagée de toute intrigue et, pour ainsi dire, de toute construction matérielle, la pensée libre, agile, apparait dans sa nudité éclatante, ... Voici mille ans qu'on nous répète avec pitié: " que seriez vous sans le vers, sans le rythme, sans la rime, sans ses enchantements tout matériels, qui tout d'abord vous assurent la complicité de nos sens, bercent l'âme dans une ivresse musicale, et dissimulent sous les richesses de leurs broderies mélodiques l'indigente simplicité de vos pensées ?" Eh bien ! Les poèmes en prose de Baudelaire répondent à cela encore; ôtez au poète le vers et la lyre, mais laissez lui une plume; ôtez-lui cette plume mais laissez-lui la voix; ôtez-lui la voix et laissez-lui le geste; ôtez-lui le geste, attachez ses bras mais laissez-lui la faculté de s'exprimer par un clin d’œil, il sera toujours le poète, le créateur, et s'il ne lui est plus permis que de respirer, sa respiration créera quelque chose" (Théodore de Banville, Le Boulevard 1862)