Paru dans sa langue originale en 1998, il aura fallut attendre 2021 pour avoir cette traduction en français. Diana Wynne Jones est connue pour sa trilogie de Hurle, notamment, et maintenant, les éditions Ynnis reprennent une autre série de l'autrice: "Le terrible seigneur des ténèbres", un univers fantastique avec des éléments parodiques.
M. Chesney est parvenu, à l'aide d'un démon, à mettre la mains sur un univers parallèle au nôtre et qui relève du Fantasy médiéval magique bien connu. Chaque année sont donc organisés des Pèlerinages , avec comme héros une brochette de touristes issue de notre monde, qu'on devinera assez insupportable. C'est donc à ce monde que revient la préparation en vu de leur venu. Depuis près de 40 ans, ce monde est donc soumis à de strictes conditions et condamné à mettre en place les demandes de M. Chesney, dont la majorité impliquent des stéréotypes franchement honteux. On retrouvera dans cette mise en scène un personnage très important, et principale cible à abattre: le Seigneur des ténèbres. Or, on constate non sans une grande ironie, que personne n'est aussi maléfique et tyrannique que peut l'être M.Chesney. On consulte donc les Oracles Blanc et Noir afin de choisir un Seigneur des ténèbres chaque année. À lui revient l'ingrate et colossale tâche d'organiser son armée maléfique, créer sa citadelle maléfique, tout repeindre en Noir et consolider ses alliés tout aussi "noircifiés". Mais en cette année, c'est à Derk, un sorcier honnête et bon, père de famille aimant et créateurs passionné d'êtres fantastiques, que revient ce fardeau. Épaulés par son épouse, ses enfants humains et griffons, ainsi qu'une improbable basse-cour d'animaux plus moins trafiqués, Derk se met à l'ouvrage. C'était sans compter le nombre suspect d'incidents et embrouilles qui allaient lui tomber dessus...
Vous pouvez concevoir ce monde comme un mélange de Grandeur Nature plus vrai que Nature et une dictature totalitaire. Quoi de pire qu'un homme d'affaire comme dictateur, n'est-ce pas? Et bien sur, cet homme n'a pas la moindre imagination ni sens créatif, puisque depuis 40 ans, on ressasse les même conneries consternantes d'Enchanteresse envoutante à moitié poil, de Seigneur des ténèbres à la Sauron, de quêtes débiles et de dragons protecteurs de trésors. Affligeant. Mais le pire est sans conteste le fait que ce sont de vrais personnes qui paient les frais. Des villages sont rasés pour créer de faux villages abandonnés, l'Université ne produit plus de nouvelles expertises et savoirs, des chevaux sont morts en grand nombre et tout le monde s'entend à dire que les gens de notre monde sont de fieffés imbéciles. Oui, mes amis, l'heure est grave et la rébellion est proche!
Contrairement à mon résumé plutôt précis, il faut dire que le premier chapitre nécessite beaucoup d'attention. On ne nous explique pas d’emblée de quoi il retourne, nous allons l'apprendre progressivement, comme si nous étions déjà au fait de la situation. Ce peut parfois devenir embêtant, car parfois il manque de détails et des personnages apparaissent sans le moindre préambule, ce qui peut laisser perplexe le temps de quelques lignes.
Mais de manière générale, c'était assez amusant comme histoire. On se moque allègrement des stéréotypes typique du Fantasy médiéval magique et visiblement, l'autrice s'est bien amusée à faire des contre-stéréotypes. C'est d'autant plus drôle que la conception de cet univers à l'égard du nôtre est assez crédible: je conçois tout-à-fait que si des touristes devaient aller jouer à l'Élu dans un monde Fantasy parallèle, ils seraient sans doute téméraires, égoïstes et couillon. Et ils s'attendraient sans doute à un univers stéréotypés où ils pourraient aller cultiver leur égo comme dans dans les mauvais romans Fantasy, à grand coup d'épée et de quête initiatique. J'adore l'ironie de cette série.
À l'inverse, on peut plaindre les pauvres habitants du monde parallèle, sans cesse contraints de se prêter au jeu. Au début du roman, on a d'ailleurs une bonne idée de leur état d'esprit avec tous les griefs à l'endroit des touristes en pèlerinage. On comprend aussi que M. Chesney n'a pas le moindre respect pour les habitants et des soucis que cela leur cause. Ils fait des demandes de plus en plus déraisonnables, notamment celle d'impliquer leurs Dieux. pensez-y: si vous étiez croyants, aimeriez-vous voir votre Dieu devenir une sorte de mascotte pour épater les touristes indésirables?
J'ai beaucoup aimé l'esprit de famille que celle de Derk. Ils sont soudés, pas toujours d'accord, mais tous impliqués à leur façon. C'est une famille assez hétéroclite: des humains, des griffons, des cochons volants, des oies carnivores assez mesquines, des chevaux ailés, de "gentilles" vaches, une pelletée de chiens et des moutons cannibales. C'est très dynamique dans cette maison, c'est le moins qu'on puisse dire! héhé
Ce roman est vraiment concentré sur l'action, qui se tarie pas longtemps. C,est une course contre la montre: tout doit être prêt avant l’arrivé des touristes, mais une séries d'imbroglios vraiment suspects rend les choses compliquées. En outre, la plupart des membres de la famille ont un rôle à jouer dans les pèlerinages. On a pas le temps de souffler. Par contre, ma lecture a été ralentie par des interrogations: Qui parle? Qu'est-ce qui se passe? Et souvent, je me suis heurté à des phrases au choix de mot incohérent. Exemple facile: "Viens dans ton antre" au lieu de "Allons dans ton antre". Oui, souvent, c'est l'écriture qui posait problème et manquait de fluidité. Pour avoir lu "le château de Hurle", il y a avait le même problème, alors je suppose que c'est imputable à l'autrice et non à la traduction.
On arrive malgré toute cette action à cerner des personnalités aux personnages. Derk n'a vraiment pas la personnalité de l’emploi en tant que Seigneur des ténèbres ( c'est d'ailleurs bien amusant). J'ai parfois eu de la confusion entre les petites griffonnes, qui ont des tempéraments similaires. Écailles, le vieux dragon, m'aura fait rire avec son humour singulier. De manière générale, la plupart des personnages ne brillent pas par leurs qualités, mais ça a un côté rafraichissant. Les personnages parfaits dont tellement ennuyeux. Donc, côté personnages, on ne s’ennuie pas.
Enfin, je signale un enjeu éthique dans cette "entreprise": des gens meurent pour de vrai. Les sbires du Seigneur des ténèbres sont en réalité des prisonniers de notre monde, sacrifiables et réellement dangereux. Les chevaux se font également réellement tuer. Bref, ce "jeu" n'en est pas un. Et on peut se demander: les pèlerins savent-ils qu'ils sont un univers véritable? Et s'ils le savent, s'en foutent-ils? Ça me fait d'ailleurs penser qu'on ne les croisent jamais dans le roman...hum, suspect?
Donc, globalement, c'est assez réussi et original. On sens un influence parodique, qui me rappelle les univers de Naheulbeuk, Reflet d'Acide ou la Tour de Kyla, en beaucoup moins absurde. On se plait à suivre cette famille qui cumule les bourdes et la malchance, même si on apprend vers la fin que ce n'est peut-être pas de la malchance tout comptes fait. Les vraies questions reste donc: Ce monde se libèrera t-il du joug du businessman despotique? Et comment. Derk parviendra-t-il a devenir le Seigneur des Ténèbres malgré les embuches?
Comme cette histoire se moque de l'univers Fantasy, il est donc fort à parier que les gens initiés à ce dernier, aux jeux de rôles comme Donjon et Dragons, ou même aux jeux Fantasy sur console, devraient comprendre mieux les allusions et blagues dans ce roman. Je pense à celle sur les bardes, notamment.
Le roman se termine en pleins action avec un "À suivre". Il faudra donc attendre le second opus. Ceux qui n'aiment pas languir devraient attendre d'avoir le second tome pour se lancer dans le premier, car la rupture est vraiment abrupte.
À découvrir!
Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans.