Premier volet - le fantasme

Lorsqu'on regarde son passé, on le réécrit largement autant qu'on le consulte, paraît-il.

Pour moi, cet ouvrage, abondamment lu et relu durant l'époque où l'enfance fait timidement place à une adolescence empotée, est un jalon, un moment-clef, tenant probablement davantage du mythe que de l'histoire.

'Le Tigre des Lagunes', c'est la colline métaphorique où le père fait grimper son rejeton pour lui dire, sa main pesant solennellement sur son épaule, ces vérités profondes sur la vie qui feront de lui un homme, comme dans le poème de l'autre, là. Ou éventuellement pour lui certifier que X arpents de terre et tout ce qu'on y trouve lui reviendront un jour, c'est en fonction de vos moyens.

'Le Tigre des Lagunes', c'est le bouquin que m'a donné mon père et qu'il lisait étant gamin, lui qui n'a pourtant rien d'un rat de bibliothèque. Plus exactement, c'est le livre qu'il m'a remis qui m'a tellement plu que je n'ai jamais oublié l'avoir reçu de lui, et dont j'ai fait cet héritage fantasmé.

Partant, il ne peut qu'être bon.


Second volet - la critique du gamin

Alors le Tigre des Lagunes, c'est un bouquin avec Bob Morane. Bob Morane, c'est un type avec les cheveux noirs coupés en brosse et un copain écossais super grand qui s'appelle Bill Balantine. Et ils sont avec un vieux type, le professeur Clairembart.

Et alors, ils sont en Amazonie (c'est une jungle) en hydravion quand ils voient qu'il y a quelqu'un qui se fait attaquer par des Indiens. Alors ils se posent et ils tirent sur les Indiens et comme ça ils sauvent le type, sauf que le type, en fait c'est une femme. Et cette femme (elle s'appelle Elaine -moi j'ai toujours cru que ça s'écrivait Hélène, mais bon), en fait elle est à la recherche de sa fille qui s'est écrasée dans un accident d'avion quand elle était toute petite. Et Bob Morane et ses amis, ils vont en fait l'aider à la retrouver. Bon, je veux pas raconter toute l'histoire, mais c'est vraiment chouette. Y a des Indiens, y a des bandits (le Tigre des Lagunes c'est le nom du chef des bandits) et puis y a aussi des vampires (mais je veux pas gâcher la surprise, alors j'en dis pas plus). Et puis à la fin, on est vachement surpris, et puis y a une bagarre vraiment coule entre Bob Morane et le chef des bandits.

Franchement, ça vaut le coup.


Troisième volet - la critique de l'adulte

C'est toujours intéressant de se replonger dans un livre qui a fait nos délices quand on était enfant et qu'on n'a plus relu depuis. C'est un peu comme revenir au mayen ou fouiller dans une malle au grenier. Il y a des odeurs familières, des lieux, des objets qui, entre appréhension et nostalgie, marquent le temps qui s'est écoulé et le fossé qui s'est creusé, à notre insu, entre ce que nous étions et ce que nous sommes devenu.

L'intrigue, en soi, n'est pas particulièrement renversante, et le twist final se pressent à la simple lecture du quatrième de couverture présent sur ce site. Le cadre de l'histoire, à l'exotisme ponctué de termes espagnols et de notes de bas de pages amusantes et instructives, avec juste une pincée d'ethnocentrisme, a perdu une grande partie de son charme et du choc initial. Eh! C'est qu'en grandissant, on a lu du pays et qu'on n'est plus aussi impressionnable que jadis!

Ce qui m'a frappé, en revanche, c'est le ton. Le ton du 'Tigre des Lagunes' est extraordinaire. Henri Verne est un moraliste, au sens noble du terme. Ses baroudeurs, Bob Morane en tête, font passer, par l'exemple, un certain nombre de valeurs qui paraîtraient, pour certaines, franchement surannées aux héros que l'on dépeint aujourd'hui. Je ne parle pas du courage, de la ténacité ou du désintéressement (encore que les protagonistes en aient à revendre). Je parle d'un respect religieux de la vie humaine, bien loin des calculs utilitaristes un peu sordides qui font le quotidien de Jack Bauer. Je parle d'une répugnance marquée pour la violence, toujours utilisée en dernier recours uniquement, et modérée par un sens aigu de la justice, manie qui pousserait Monkey D. Luffy à la dépression nerveuse.

Plutôt que de gloser davantage sur le sujet, quelques lignes de l'ouvrage, pour le plaisir:

« Sur ce bref combat, le silence retomba, silence à peine troublé par la voix ténue des insectes et les crépitements des foyers éclairant les corps des assaillants mis hors de combat.
A la vue de ces corps, Bob Morane se sentit saisi d'une colère sourde et il se mit à hurler, à l'adresse du Tigre des Lagunes:
- Vous êtes content de vous, hein, Vocera? Vous êtes content d'avoir fait massacrer des hommes alors que vous-même vous vous teniez soigneusement à l'écart?
Certes, le Français n'ignorait pas que ces hommes représentaient la lie de l'humanité., assassins et voleurs, et que les Mayorunos étaient loin de ces « bons sauvages » chers aux poètes-philosophes du XVIIIe siècle. Pourtant, c'était des hommes, malgré tout... »

Un ouvrage indispensable, comme dirait l'autre.
NotQuiteDead
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le 29 janv. 2014

Modifiée

le 2 févr. 2014

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