Révolution des transports
A certains moments, on a beau être des admirateurs d'un artiste, il faut avouer que celui-ci produit parfois des œuvres d'une qualité inférieure. Oh ! attention, n'allez pas croire que ce roman est mauvais. Il y a quelques moments vraiment agréables, mais il est quand même nettement en-dessous de l’Île Mystérieuse ou des Enfants du capitaine Grant (pour ne mentionner que ces deux-là).
Alors, quels sont les problèmes ? Je crois que le principal, c'est le manque d'enjeu. Faire le tour du Monde, en sautant d'un train à un bateau, et inversement, dans le seul but de prouver que c'est possible, c'est bien sympa mais ce n'est pas très motivant. Plusieurs fois, passepartout regrette que le voyageur ne s'arrête pas plus longtemps dans un lieu précis. Moi aussi, je formule le même regret. Parce que, finalement, c'est quand le voyage s'arrête que le roman est le plus passionnant. Le temple profané à Bombay, le sacrifice dans le jungle indienne, Passepartout engagé dans un cirque à Yokohama, autant d'aventures qui ne sont qu'effleurées alors qu'on aurait voulu les approfondir.
Au lieu de cela, nous avons donc de longs passages avec des personnages qui voyagent. Certes, on devait s'y attendre un peu, mais quand Fogg joue au whist dans un train, on a plus de mal à se passionner pour l'histoire. Or, c'est précisément là que le narrateur installe ses longues descriptions. Justement, le passage avec le train américain, dont Verne décrit toute l'histoire, la pose des rails, les problèmes pour aplanir le chemin, le tracé à travers les terres indiennes, le Lac Salé, etc; en bref, tout ce passage étatsunien est peu intéressant.
Et puis, il y a ce Phileas Fogg. Au début, il est assez drôle, avec sa vie réglée comme du papier à musique, mais il devient vite ennuyeux lui aussi : un personnage principal qui ne dit presque rien, qui n'exprime aucun sentiment, qui se contente de sortir des ennuis avec de grosses liasses de billets, voilà quelqu'un de peu intéressant.
A l'inverse, fort heureusement, on a Passepartout, véritable personnage principal du film. Il fait des gaffes, il fume de l'opium, il est pourchassé à cause d'une paire de chaussures, il est enlevé par des Indiens, il oublie le bec de gaz de l'appartement londonien, il refuse d'admettre l'existence des fuseaux horaires, bref c'est un personnage truculent, fortement sympathique et agréable, un personnage vivant.
Bien entendu, le roman possède des qualités. Mais le génie de conteur d'un Verne capable de nous passionner avec un annuaire est remplacé ici par quelqu'un qui se perd souvent dans d'interminables descriptions peu utiles à l'histoire. Finalement, dans ce roman, il ne se passe pas grand chose. Il ne peut pas se passer rand chose, puisque les personnages se contentent, en théorie, de passer d'un moyen de transport à l'autre.
Les moyens de transport, justement, parlons-en. Une des raisons évidentes de l'existence de ce livre, c'est de décrire un monde rendu plus petit par la révolution des transports. Steamers, train, et même char à voile, canal de Suez et ligne de train trans-américaine, c'est à un changement radical de la conception du voyage que nous avons affaire ici. C'est peut-être en cela que le roman est le plus intéressant : en ce qu'il décrit un monde qui est déjà le nôtre. Que ces moyens de transport d'une grande banalité de nos jours étaient absolument inouïs à l'époque.
Mon avis est donc plus que mitigé concernant ce roman. Finalement pas désagréable, mais un peu dépourvu d’intérêt quand même.
[N.B. : si vous voulez vraiment lire une formidable critique de ce livre, reportez-vous au travail magnifique de notre maître (notre mètre ?) à tous, tonton ZeBig : http://www.senscritique.com/livre/Le_Tour_du_monde_en_80_jours/critique/39476348 ]