Keith Martin est l'un des auteurs de Défis Fantastiques les plus mystérieux. Les informations biographiques à son sujet sont rares : c'est tout juste si l'on sait que Carl Sargent (car oui, il ne s'appelle même pas vraiment Keith Martin !) a étudié la parapsychologie à la prestigieuse université de Cambridge et qu'il a écrit pour pas mal de jeux de rôles dans les années 1980-1990, en particulier pour la gamme Greyhawk de Donjons & Dragons. Décidément, en dehors de leur passion commune pour les jeux de rôles, on peut dire que les auteurs de Défis Fantastiques viennent d'horizons très variés !


Pour sa deuxième contribution à la série (je n'ai pas encore eu l'opportunité de lire la première, le Voleur d'Âmes), Martin choisit de reprendre les codes d'un genre qui n'avait pas encore été abordé jusqu'alors : le roman de vampires. L'introduction s'inspire allègrement du grand classique qu'est Dracula, avec notre héros arrivant en calèche dans un village reculé, tapi dans l'ombre d'un imposant château où se trament des choses pas très catholiques… Tous les tropes sont au rendez-vous : les chauve-souris, les loups-garous, les femmes fatales (dans tous les sens du terme), les gousses d'ail, les cercueils remplis de terre, les goules, et même les crucifix (donc il y a aussi eu un Jésus sur Titan ?).


Bref, sur le plan de l'originalité, le Vampire du Château Noir ne vole pas très haut. En règle générale, ça me poserait problème, mais Martin a le chic pour prendre des ingrédients éculés et en faire une tambouille tout à fait convaincante. Ça passe d'abord par une construction très solide de l'aventure : le château Heydrich est conçu comme un véritable manoir, avec ses pièces utilitaires et ses pièces à vivre, ses écuries et ses chambres, et mine de rien, c'est vraiment plus crédible et agréable à parcourir que les bêtes couloirs et pièces qui s'enchaînent dans les bouquins de Ian Livingstone. Surtout que la progression se fait de manière plus naturelle, avec un système à base de points nodaux qui permet de revenir sur ses pas si l'on veut explorer davantage. Mais le château n'est pas qu'un décor, c'est aussi un lieu de vie pour toute une galerie de personnages, en particulier les autres membres de la famille du comte, avec qui il est souvent possible de tailler une bavette. Tout cela contribue à donner vie au château Heydrich, bien davantage qu'à la Montagne de Feu ou au Labyrinthe de la Mort. Les excellentes illustrations de Martin McKenna contribuent à évoquer l'atmosphère horrifique requise.


En termes de jeu, le livre propose quelques nouveautés. Un score de Foi est régulièrement mis à l'épreuve et augmente lorsque le héros réussit des actions importantes. De manière finaude, Martin s'arrange pour qu'une Foi élevée puisse aussi bien être un atout (les morts-vivants les plus faibles sont repoussés par une aura bénéfique) qu'un désavantage (les morts-vivants les plus forts la repèrent plus facilement). La plupart du temps, les points de Foi sont tout de même plus utiles qu'embêtants. Une autre nouveauté, les Afflictions, fonctionne moins bien : l'idée est bonne (des maladies susceptibles de handicaper le héros), l'exécution moins (elles ne sont pas assez présentes, surtout la Lycanthropie). En fin de compte, ce ne sont pas les maladies qui risquent d'emporter le héros, mais plutôt les combats, la faute à une poignée d'adversaires dopés aux hormones disséminés sur le chemin. Reste que dans l'ensemble, avec un peu de chances aux dés, le livre peut se boucler en deux ou trois lectures, le temps d'apprendre où se trouvent les objets à récupérer et les pièces à éviter. C'est tout à fait raisonnable pour la série.


Bref, le Vampire du Château Noir est une aventure à la construction aussi solide que les murs du château Heydrich. Même si l'originalité n'est pas au rendez-vous, il est très facile d'en faire abstraction pour passer un très bon moment. Un dernier élément contribue à hisser ce livre dans le haut du panier : c'est la participation de la traductrice Mona de Pracontal. Comme Jean Walters, elle n'hésite pas à étoffer le texte par petites touches, ici en convertissant du discours indirect en discours direct (ce qui insuffle de la vie aux personnages qu'on croise), ailleurs en ajoutant de petites piques à l'encontre du lecteur. Ce n'est pas que la prose de Keith Martin était mauvaise (il est loin d'être l'auteur le moins doué de la série), mais elle dépassait assez rarement le stade du strictement utilitaire, contrairement à la VF. Trahison ? Sûrement, mais ce n'est pas moi qui irai m'en plaindre.

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le 28 sept. 2017

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Tídwald

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