Ce livre est à part dans l’œuvre d’Aurélien Bellanger. Il est plus méta et aussi plus cryptique. Lui qui signait déjà des grands romans ardus, nous voilà servis. Ses réflexions originales et inspirées sont davantage labyrinthiques. Il n’y a pas de rencontre grandiose, cette fois-ci, entre un personnage ambitieux et un pan de la modernité où tout ou presque est à défricher. On ne s’attache pas aux protagonistes, et la forme du roman y est pour quelque chose ; assemblage de mails, d’articles, de lettres, de rapports, d’entretiens, passant d'un personnage fictif à un personnage réel dont on réinvente la parole, d’un siècle à un autre, sur une ribambelle de sujets peu développés ; tout cela laisse peu de place à l’émotion. Pourtant, je suis ému par ses autres livres. Mais là, toutes les trois pages, chacun y va de son galimatias opaque et très référencé. C’est un roman qui ne peut pas se lire pour lui seul. L’abscondité n’est même plus de l’ordre du registre, puisque le texte tourne autour d’une figure de la philosophie allemande peu connue. On a envie d’en savoir plus, de lire le fameux Walter Benjamin, et peut-être que plus tard, alors, on reviendra au vingtième siècle. L’ordre de lecture ne sera pas le bon dans la grande majorité des cas. Donc, les personnages ne discutent pas, ils dissertent, tout ça pour se jeter tout droit dans la métalittérature, car le projet de Bellanger semble bien être le même que celui du conférencier qui disparaît tragiquement au début du roman : Messigné, ayant lui-même emprunté l’idée de son ouvrage posthume à Benjamin. Entre les siècles, la réalité et la fiction, voilà que le flambeau est passé. Le grand livre benjamien est arrivé entre nos mains… sans nous convaincre, hélas. Car cette idée que le 20ème siècle aurait un avenir manque clairement de viscéralité. Qu’est-ce donc que ces histoires de bavures policières dans les ZAD, de terroristes agrégés de philosophie germanique… ? A la fin, on cherche à décrypter et à analyser le vingtième siècle plus qu’on ne le lit. Et on se dit, déçu, qu’effectivement, on repassera après une rencontre avec Walter Benjamin, après avoir profité des futurs romans de Bellanger, seule alternative pour apprécier cet opus à sa juste valeur.
(Et, déjà, en se penchant sur les publications du philosophe, la cohérence des sujets abordés paraît se révéler plus limpidement.)