AVERTISSEMENT: Ceci est une tribune politique et ne constitue pas la critique du livre de Tchakhotine (qui doit être fort intéressant par ailleurs)
La révolte des Gilets Jaunes a certainement de nombreuses causes, qu’il faut tenter de répertorier, d’analyser.
Ce travail de réflexion est absolument nécessaire pour sortir de l’engrenage des provocations et réactions violentes. Seule cette réflexion commune permettra de trouver les réponses politiques à ce mouvement spontané, sans leader, sans structure apparente ni idéologie prédéterminée mais qui semble remettre profondément en question le fonctionnement même de notre démocratie et, pour le moins, questionne le bien-fondé de nos institutions ainsi que leur légitimité.
La violence et le chaos ? Rares sont ceux qui les souhaitent réellement. La France peut sortir grandie de cette crise, à condition qu’elle retrouve son génie pour la pensée et le débat politique: l’art de la contradiction et de la conciliation. Le mouvement des Gilets Jaunes, en cela, est déjà une immense victoire: Un peuple est en train de se réapproprier la chose publique, de gré ou de force, il nous oblige à repenser collectivement.
Je ne prétends rien d’autre ici qu’apporter ma pierre à l’édifice de ce débat, à l’émergence de l’intérêt général, à la réactualisation de la res publica, dans le respect des principes de la République. Ces principes sont en effet plus importants que les institutions et les hommes imparfaits censés les incarner.
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Car aujourd’hui la stratégie manifestement délibérée du gouvernement et du chef de l’Etat d’attiser la colère, de stigmatiser la violence des manifestants (violence pourtant subie majoritairement par les manifestants eux-mêmes - les mutilés à vie ne sont pas dans les rangs de la Police) et, par une surenchère artificielle de mots creux (« ultra-droite, ultra-gauche, ultra-violence, séditieux, factieux »…), de réduire tous les manifestants aux seuls extrémistes agissants (ou aux simples pillards qui profitent de la confusion), cette stratégie bassement électoraliste est une impasse.
Associée à la confiscation oligarchique de la parole médiatique, elle n’a qu’un but, qu’un effet: discréditer l’image, la parole et la pensée des Gilets Jaunes, ou de tout autre opposition politique. Interdire le débat. Il ne s’agit, pour ce gouvernement, certainement pas d’écouter mais bien de faire taire, par une condamnation morale globale « d’extrémisme », un mouvement qui le dépasse totalement et dont il refuse d’accepter la légitimité précisément parce qu’elle remet la sienne en question.
Or, s’il y a quelque chose d’extrême dans ce mouvement, c’est bien la raison légitime et première qui le fait exister, ce qui a poussé tant de gens, qui se disent apolitiques, à descendre dans la rue et donner de la voix:
Aujourd’hui, en France, la loi ne garantit plus à ses citoyens de vivre dignement.
Au pays de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, pour nombre d’entre nous, vivre dignement est devenu littéralement impossible.
Ainsi, les niveaux du salaire minimum, ainsi que des allocations versées à ceux qui sont privés d’emplois ou dans l’impossibilité de travailler, (chômeurs, malades, handicapés, retraités) sont insuffisants pour assurer une vie digne aux moins fortunés, aux moins chanceux, aux plus faibles d’entre nous.
Cette indignité, qui est à la fois inégalité et injustice est la seule violence qui devrait occuper les discussions politiques. - Laissons les juges, c’est leur rôle, pas celui de la presse, ni celui de la foule, condamner les violences physiques, d’où quelles viennent. -
De nombreux Gilets Jaunes affirment être obligés de survivre, contraints de choisir entre médicaments et nourriture, entre chauffage et vêtements, alors même qu’ils travaillent ou ont travaillé toute leur vie. Cette situation est insupportable, intenable, intolérable. C’est elle qui pousse les classes populaires à manifester aujourd’hui encore et depuis 9 semaines.
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Mais tout aussi insupportable est la relégation de cette réalité aux oubliettes des préoccupations politiques par des médias obsédés par les violences ou par les conséquences économiques des blocages - tout comme depuis plus de trente ans, cette réalité sociale est ignorée, reléguée au second plan par la classe politique.
Les insultes et la violence retournée contre des journalistes n’ont pas d’autre cause:
la parole publique est depuis trop longtemps accaparée par les mêmes gens, les mêmes idées, aveugles à cette injustice.
Car non seulement on nous dénie ce droit à vivre dignement mais on dénie aussi, dans la presse, dans l’espace et la parole publics, que la pauvreté ou le chômage soient des problèmes politiques cruciaux. Et avant tout des problèmes sociaux: c’est à dire dont la société est responsable dans son ensemble.
Les médias, majoritairement, et depuis trop longtemps, traitent ce fait comme une fatalité ou, pire, renvoient les personnes qui en sont victimes à leur responsabilité individuelle.
Dans les médias, la culpabilisation systématique des chômeurs, des fraudeurs à la sécurité sociale ou aux allocations, ajoutés aux discours sur la « paresse », le « fléau » de l’assistanat (celui des riches n’est jamais mis en cause, curieusement) réduisent en effet systématiquement ce problème social à un niveau individuel: les pauvres seraient les seuls responsables de leur pauvreté. Ils ne cherchent pas assez de travail, ils ne sont pas bien formés, ils préfèrent toucher des allocations et ne rien faire.
Rien n’est plus faux que ce discours de culpabilisation à l’encontre de ceux qui ne sont que victimes de notre organisation sociale et politique défaillante.
De même la substitution systématique, sur les plateaux de télévision et de radio, du terme de « cotisations sociales » transformées en « charges » qui pèseraient sur les entreprises ou les salaires, comme le plus insupportable des fardeaux (alors qu’il s’agit de revenus différés), a pour effet de dénigrer le principe républicain de solidarité nationale, pourtant inscrit dans la constitution. Dans un seul but: démontrer la soi-disant inefficacité des mécanismes de redistribution et de protection sociale qui fondent pourtant le caractère social de notre république. Les dénigrer pour mieux les « réformer » c’est à dire, traduisons encore, les détruire et ouvrir à terme leurs champs d’application à la concurrence, à la rentabilité et aux seuls profits privés.
Discours dominant et injuste, car les donneurs de leçon médiatiques, les langues crochues qui avancent sous couvert d’objectivité, de neutralité et d’éthique journalistique, des arguments de pure idéologie, n’ont jamais eu à souffrir de ces politiques.
Ce ne sont pas leurs emplois qu’on délocalise.
Certes, tous ceux qui triment dans l’ombre des organes de presse sont précarisés, connaissent le chômage intermittent, et ne font que défendre leur maigre situation, eux aussi.
Mais ceux qu’on met dans la lumière des projecteurs et qui occupent ces places d’influence depuis tant d’années, sortis du rang et élevés au grade d’éditorialiste, sont directement complices des mensonges et des injustices qui ne servent que leurs intérêts ou celui de leurs employeurs.
Il est encore une autre injustice systématiquement minorée par les médias:
Alors que les couches populaires de notre pays entrent en ébullition, à force d’être écrasées par le coût de la vie puis ringardisées, méprisées, voire ignorées par la parole publique, dans le même temps, les plus fortunés voient leurs richesses grandir de façon exponentielle. A ceux-là, la loi accorde des aides - sous forme de réduction d’impôt ou d’exonération de cotisations sociales - toujours plus généreuses, sous prétexte d’incitation à l’investissement économique et d’une hypothétique réduction du chômage éternellement attendue, et ce sans aucune contrepartie, ni garantie.
Sur ce fait les médias font silence.
L’assistanat du Capital coûte bien plus cher à l’Etat que celui du citoyen dans le besoin…
Car la loi permet encore aux possédants de soustraire leur fortune aux mécanismes de solidarité nationale.
Les plus fortunés d’entre nous font sécession, s’exilent, refusent la règle commune et la république, uniquement pour accroitre leur richesse. Leur avidité est encouragée, soutenue, assistée par l’Etat.
Certes, de cela, la presse n’hésite pas à parler: tous les scandales font vendre. On s’indigne à bon compte, on moralise là encore, mais à condition de ne jamais pointer l’absence de politique, de lois, et de régulation de l’évasion fiscale. Dans ce domaine l’impuissance publique organisée ne doit surtout pas apparaître au grand jour.
De toute façon, pour nos éditorialistes indéboulonnables, comme pour Macron, ce sont encore les pauvres, ces fumeurs qui roulent au diesel, qui doivent renflouer l’Etat déficitaire…
L’entreprise multi-nationale se croit au-dessus des nations, le milliardaire et son argent se jouent des frontières et donc des lois. Alors que le citoyen lambda est prisonnier de ces politiques et est de moins en moins protégé par la porosité de ses frontières.
Pourtant, malgré le rouleau compresseur médiatique, l’injustice est criante.
Elle crève les yeux.
Presque autant que les Flash-balls des forces de l’ordre.
Mais les médias et la classe politique dans leur écrasante majorité n’y voient toujours pas un problème. Car, selon eux, ce sont les riches qui créent la richesse. (Et non les salariés qui travaillent pour eux) Et tout cela ne serait que jalousie maladive du peuple français, ce râleur invétéré.
Il faut donc laisser toujours plus de liberté aux riches de « créer » toujours plus de richesses, en espérant benoitement qu’il en feront autre chose qu’une accumulation toujours plus grande, et toujours plus concentrée dans leurs mains toujours moins nombreuses…
A ce sujet le discours médiatique majoritaire n’est qu’omission intéressée, cynisme ou auto-censure. Rien de plus logique de la part de tous ceux qui espèrent quelque retombée, ou craignent un revers de carrière et pour cela taisent cette autre vérité:
l’argent ne « travaille » pas: il fait travailler ceux qui n’en ont pas.
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Les gilets jaunes accusent encore:
Alors que l’Etat est censé servir et protéger chacun d’entre nous, Il s’évanouit. Il ferme ses antennes, ses relais, et disparaît pour de soi-disants impératifs économiques, dans des pans entiers du territoire national.
De cela la minorité fortunée ne souffre pas (ni la plupart des journalistes qui exercent à Paris) Cette minorité a les moyens de vivre là où les services de l’Etat sont performants. Voire de trouver des cieux plus cléments. Peu lui importe, au contraire même, que l’Etat ferme boutique: là où le facteur ne passe plus, de grands groupes internationaux dont il est justement actionnaire feront de nouveaux profits en usant d’auto-entrepreneurs plutôt que de salariés en CDI pour distribuer les colis.
Tout le monde le constate: l’Etat ne remplit plus convenablement ses missions de police, de justice, d’instruction, de santé…
Mais les médias continuent d’agiter l’épouvantail idéologique de la dette comme raison impérative de ses renoncements. Comme si cette dette publique ne s’était pas d’abord creusée aux profits de banques privées, notamment durant la crise financière de 2008 - crise dont elles étaient les seules responsables ! Comme si l’industrie financière dérégulée et mondialisée était, là encore, un phénomène naturel inévitable.
Comme si cette dette pouvait se comparer à celle d’un ménage, par des raisonnements économiques malhonnêtes et culpabilisants. Comme si le patrimoine économique, culturel et historique de la France pouvait être mis dans l’équation, et - pourquoi pas ? - mis en vente et liquidé pour éponger notre honteuse et horrible dette…
Mensonges ! Là encore complaisamment colportés dans les médias, toujours au profit d’intérêts privés.
L’Etat recule particulièrement dans le domaine économique. Par pure idéologie, il s’interdit désormais de promouvoir ou même défendre l’industrie, l’agriculture. Nos fleurons et nos savoir-faire sont rachetés, démantelés, liquidés. Même les activités stratégiques de l’énergie ou de la défense ne sont pas épargnées.
Mais les médias continuent de vanter le libre-échange, de diaboliser le protectionisme, d’admirer le succès insolent des « Start-ups » et des « entrepreneurs » qui « réussissent » dans ce monde « ouvert » et « libéré » des « pesanteurs » de l’administration, des « rigidités » qui protègent les salariés, des normes environnementales… La « réussite » est devenue leur seul critère de jugement, quels que soient les méfaits dont ces hommes ou ces entreprises sont responsables.
Et une petite goutte de « Cash Investigation » n’est rien dans l’océan de « Capital » qui inonde la pensée médiatique.
L’uniformité de ce discours ne s’adresse pas à la majorité de nos concitoyens mais bien à la frange la plus fortunée et à celle qui croit encore pouvoir tirer profit de ce jeu de massacre, achève le peu de confiance qu’il pouvait rester dans une presse prétendument libre.
Evidemment, la presse n’est pas responsable de la politique menée.
Mais elle est entièrement coupable d’avoir petit à petit fermé les yeux sur les impasses de cette politique. Coupable d’avoir étouffé en son sein la moindre critique, d’avoir discrédité toute opposition à cette politique, de l’avoir décrédibilisée, la renvoyant dans le camp pestiféré de l’extrémisme. S’arrogeant le pouvoir de décider qui était raisonnable et qui farfelu, qui était dans le camps du bien… Qui se trouve toujours être celui des plus riches, ceux qui font l’avenir, puisque l’avenir est déjà tracé, l’Histoire achevée et qu’il n’y a pas d’alternative.
Si la presse ne cherchait plus seulement à flatter la main qui la nourrit elle dirait clairement que cette politique de recul de l’Etat, de liquidation des services publics, des protections sociales, du droit du travail, de renoncement à toute politique monétaire ou économique digne de ce nom ou encore d’aménagement du territoire, tout cela dure depuis plus de trente ans.
Cette privatisation rampante de toutes les activités humaines, selon une pseudo-loi économique de « concurrence libre et non faussée » à l’échelle mondiale censée produire indéfiniment plus de richesses, est un mythe qui ne sert les intérêts que d’une poignée d’être humains. Le gâteau de la richesse mondiale n’a certes jamais été aussi grand. Mais l’inégalité de sa répartition non plus. Et l’un n’a pu aller sans l’autre.
Pourtant cette mondialisation dont aucun média n’explique jamais qu’elle se fait sous l’égide américaine n’est en rien une fatalité.
Evidemment, les traités nous intégrant à l’Union Européenne puis à l’Euro ont, en apparence, coupé toute possibilité de sortie de cet ordo-libéralisme funeste. Mais la volonté de se plier à cet ordre mondial est d’abord celle de nos représentants politiques, tous fascinés par cet encombrant allié américain. Cela non plus les journalistes ne l’abordent jamais.
La défiance envers nos institutions nationales comme envers la presse vient de là. Et le slogan « Macron Démission », s’il était appliqué, ne suffirait pas à l’éteindre: Car depuis plus de trente ans, une fausse alternance politique, que Macron n’a rompue que pour mieux la prolonger et accentuer la casse de l’Etat Social, est la première responsable de l’affaiblissement de la démocratie française.
La droite traditionnelle, chrétienne et gaulliste (donc sociale) a disparu, dissoute dans le néo-libéralisme anglo-saxon et sa défense aveugle de la loi du plus fort, assombrie par une tentation identitaire, voire ouvertement xénophobe.
Le Parti Socialiste n’a plus de socialiste que le nom. Après avoir tenté d’amadouer les puissances d’argent pour conserver son pouvoir, il s’est divisé entre ses baronnies locales. Après avoir pourchassé toutes sortes d’« inégalités » particulières, il a oublié que la seule inégalité qui compte est celle de l’argent.
La question sociale et le souci des couches populaires ont disparu de l’offre politique.
Le penseur humaniste et universaliste, lettré, qui considère chaque Homme comme son égal, et cherche la manifestation d’une vérité imparfaite mais éclairée par la raison commune est en perdition.
Les uns flattent la peur d’une invasion étrangère. Les autres les différences et particularismes. Les uns cherchent des boucs-émissaires, les autres détruisent le seul sentiment d’appartenance et d’égalité nationale possible: celui du citoyen.
La fausse alternance entre ces deux partis majoritaires, l’un flattant sans y répondre le besoin de sécurité, l’autre les revendications communautaires anti-républicaines, a lentement rongé le lien entre citoyens et élus.
Car ces deux partis prétendument opposés étaient d’accord sur l’essentiel: le néo-libéralisme est la seule direction possible, et l’intégration dans l’Union Européenne le seul chemin.
Une presse démocratique réellement libre aurait dû repérer et dénoncer cette fausse alternance avec force. Elle ne l’a pas fait.
Cette fausse alternance politique s’est pourtant assise comme un seul homme sur le référendum de 2005 contre la constitution européenne, contre l’avis du peuple qu’elle était censée représenter. Cette forfaiture, cette trahison manifeste de la démocratie, n’a soulevé aucune indignation médiatique: et pour cause, la quasi totalité de la presse est convaincue elle aussi qu’il n’y a pas d’alternative à l’ « Europe »
De fait, cette fausse alternance, à quelques détails près, a appliqué strictement la même politique: celle dictée par les traités néo-libéraux européens successifs. Elle a dés lors refusé de répondre à l’aspiration populaire d’égalité sociale.
Où sont les articles de presse qui expliquent que la plupart des lois françaises sont aujourd’hui dictées par les directives de la commission européenne ? Et que les « réformes » de Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande ou Macron ont cette même origine ?
Trop contente, cette classe politique française, de trouver, grâce à l’UE et l’ « obligation » d’appliquer ses traités, une excuse pour ne pas avoir à changer de politique. Une autorité supérieure à celle de leur propre peuple pour profiter des attributs du pouvoir sans véritablement gouverner.
Trop contente cette presse aux ordres de profiter de sa relation privilégiée avec ce qu’il reste de pouvoir.
Les affaires de corruption, cette fois abondamment relayées par la presse qui n’a jamais rien à perdre à flétrir la représentation nationale, puisque son maître est ailleurs, ont achevé ce qu’il restait de confiance en la République.
Mais là encore, une presse démocratique réellement libre ne serait pas si prompte à bafouer la présomption d’innocence et le secret de l’instruction. Elle ne condamnerait pas si aisément la moralité de la classe politique, si quelqu’un pouvait dénoncer avec autant d’écho ses propres collusions.
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La presse qui était censée être un contre-pouvoir n’a pas de contre-pouvoir.
Or, aujourd’hui, ce pouvoir est la propriété exclusive d’une caste.
90% de la presse écrite nationale appartient à 10 milliardaires. Cette concentration est absolument vertigineuse. Le premier danger pour notre démocratie. La confiscation de la parole publique par une pensée unique, disqualifiant toute opposition à l’idéologie néo-libérale, par un discours moralisateur bien rôdé, est digne des pires dictatures.
Cette caste a fait élire son champion désigné Emmanuel Macron, grâce entre autres à cette capacité inédite d’influence de l’opinion. Macron, vendu comme une starlette sur papier glacé. Le discours de l’Enarque inconnu, jamais élu nulle part, sonne creux mais il a le bon accent. Il n’a pas de programme, mais son image est léchée. Le teasing parfaitement maîtrisé. Désolante démocratie en effet, où les mots ne comptent plus, absorbés par la logorrhée insignifiante; où le pouvoir de la parole s’éclipse face à la brillance clinquante de l’image.
L’opération commerciale s’est vue, immédiatement.
Mais la règle électorale a semblé être respectée. L’épouvantail du risque fasciste a une nouvelle fois été agité. Et l’intervention massive des puissances d’argent dans cette élection présidentielle encore insuffisamment controlée - malgré les affaires Libyennes et Bygmalion - est restée inaperçue et tue.
L’effet de sidération a éteint toute critique.
Seulement depuis, la politique de Macron a éclaté au grand jour: car l’ascenseur renvoyé aux oligarques qui ont financé sa campagne est en or massif. Une telle évidence que même la sphère médiatique et sa corruption molle ne pouvait plus raisonnablement nier.
Avec l’élection d’Emmanuel Macron, l’Etat a été mis au service d’une minorité.
La République française est aujourd’hui dirigée par des intérêts particuliers minoritaires qui sont les bénéficiaires directs des politiques mises en place.
Et puisque le discours médiatique est verrouillé, acheté par ce même groupe d’intérêts, la critique frontale de cette prise de pouvoir de nos institutions est devenue impossible.
Il n’y a pas d’autre mot: La République a pris tous les airs d’une oligarchie.
Il n’est pas normal, dans notre démocratie, que les chiffres officiels, honteusement maquillés, du nombre de Gilets Jaunes manifestants ne soient relativisés par aucune rédaction ou presque. La mission d’information tourne à la propagande d’Etat.
Il n’est pas normal, dans notre démocratie, que les opinions opposées au pouvoir en place ne s’expriment qu’incidemment ou soient immédiatement discréditées par les journalistes qui les invitent.
Il n’est pas normal pour des journalistes encore intègres de devoir être financés par le Kremlin pour pouvoir conduire un débat d’idée ouvert à toutes les opinions.
Il n’est pas normal de ne voir les images de la province qui manifeste que sur les réseaux sociaux.
Il n’est pas normal que ces réseaux, où règne l’anonymat et le risque de la désinformation, soient considérés par beaucoup comme des sources plus fiables que l’immense production écrite ou audiovisuelle française.
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Ainsi, pour toutes les raisons que j’ai évoqué ici et d’autres encore, les Gilets Jaunes ont occupé les rond-points…
Il faut donc aujourd’hui envisager un profond renouvellement de notre pensée politique.
La République, dont toute la classe dirigeante invoque dès qu’elle peut les « valeurs » mais sans plus en respecter aucun principe, doit effectivement nous aider à sortir de l’ornière. Ce sont ses principes qui, loin de dicter ou d’invalider telle ou telle forme institutionnelle, devraient guider notre réflexion.
Les pistes qui suivent ne sont que suggestions personnelles, évidemment orientées politiquement et sujettes à débat.
Pour qu’existe ce nouvel espace commun, que se ravive la chose publique, et qu’enfin le débat démocratique ne soit plus confisqué par une oligarchie financière, il me semble de première urgence, avant même l’invention d’un référendum d’initiative populaire, d’interdire la concentration monopolistique de la presse.
Refusons que l’espace médiatique soit accaparé par une seule idéologie.
Rendons sa diversité de paroles et de points de vue à l’espace public.
La Laïcité, comme principe républicain, ne concerne d’ailleurs pas uniquement le fait religieux, c’est d’abord le refus que la Vérité soit établie par une caste de savants et d’experts. En Démocratie, puisque la raison est universelle, la pensée, la parole et la décision sont l’affaire de tous. Nous ne voulons pas seulement être « consultés » puis ignorés: nous voulons délibérer.
Pour cela, le premier besoin du citoyen est d’être honnêtement et impartialement informé. (évidemment sa formation initiale, au sein de l’Ecole Républicaine est aussi en grande défaillance) Que son jugement soit éclairé par la raison et non d’obscurs préjugés et propagandes.
Pour les médias, dont les revenus furent notamment torpillés par l’apparition d’une presse gratuite et aux ordres d’annonceurs fortunés, et achevés par l’inaction publique manifeste - notamment du CSA - quand à la qualité et la pluralité des médias audiovisuels privés et publics; pour ces médias, ce que le « marché » et la course à l’audience ont construit, la loi peut le défaire:
Donnons propriété, par décret, des organes de presse à leur journalistes.
Régulons massivement le recours à la publicité, qui est la première pollution de la pensée (sans parler de la pollution visuelle et sonore de l’espace commun) et le premier moyen de pression des annonceurs sur un média.
Interdisons définitivement toute publicité sur l’audiovisuel public. La mesure d’audience n’y sera ainsi plus prise comme prétexte à la baisse continue de la qualité, de l’exigence esthétique et intellectuelle. Le service public de l’information et celui de la culture doivent élever le citoyen et cesser de s’adresser au consommateur.
En période électorale, lors de débats politiques, Imposons des temps de paroles réellement égaux pour toutes les sensibilités, y compris celles qui seraient non-représentatives. La Démocratie n’est pas la dictature de la majorité. Les partis politiques les mieux dotés parce que plus représentatifs peuvent développer leurs propres outils de communication mais auront interdiction de les utiliser en période électorale.
En dehors des périodes électorales, on peut envisager qu’un temps de parole proportionnel à la représentativité des partis politiques soit observé.
Interdisons les sondages d’opinion, fabriques d’idées préconçues et orientées, ou limitions drastiquement leur usage.
Les élus veulent savoir ce que pensent les Français ? Qu’ils les consultent !
Réduisons drastiquement les autorisations d’émettre. Les programmes de télé-réalité aliénants et autres divertissements stupides ne servent qu’à diffuser de la publicité.
L’argent qu’une entreprise ne dépense plus en marketing, elle sera forcée de le dépenser dans l’amélioration objective de ses produits, si elle veut convaincre le consommateur.
Les éditorialistes continueront leur travail - ne rêvons pas d’un homme nouveau. Ni d’éradiquer pour toujours la corruption et le conflit d’intérêt - L’expression de l’opinion ne doit pas être interdite mais dûment signalée comme telle. Et contraignons dans les médias publics la pluralité de point de vue.
Forçons par ces mesures le contre-pouvoir que devrait être la presse à ne plus se comporter en auxiliaire du pouvoir. Que ce soit celui des riches, celui du gouvernement ou de toute autre sphère d’influence.
Cette parole libérée, l’inventaire exhaustif et complet des problèmes des français pourrait être envisagé.
Et les tabous de la presse actuelle pourront alors enfin être abordés:
Débat sur la sortie de l’Euro, de l’Union Européenne et de l’OTAN si ses solutions apparaissent comme la seule voie possible de recouvrement de notre indépendance et donc de notre liberté.
La liberté des peuples à disposer d’eux-même commande aussi que cessent nos ingérences militaires au Proche-Orient ou en Afrique. Nous ne pouvons plus endosser les politiques interventionnistes des USA qui ne servent d’ailleurs que leurs intérêts mais servent de prétextes sur notre sol à des attentats meurtriers.
Le progrès social, qui devrait encore irriguer tous les courants authentiquement républicains est encore possible:
Il faut aujourd’hui affirmer un droit à l’emploi, et proposer que l’Etat soit un employeur de dernier ressort. Idem pour le droit au logement, l’accès à l’eau, à l’énergie, aux communications, à la nourriture. Tous les citoyens français devraient avoir un égal accès à ces biens et services dont nous devrions établir la liste ensemble: Quels sont ceux qui sont jugés aujourd’hui nécessaires ? Le superflu sera laissé à la concurrence du marché. A condition que celui-ci soit régulé et ne passe pas au dessus de la loi commune sans laquelle il n’y a plus d’égalité citoyenne.
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Ces quelques propositions sont bien insuffisantes, tant le chantier laissé par ces 30 ans de dérive néo-libérale et de désertions politiques ont affecté notre pays.
La presse, qui a sa part de responsabilité dans l’hégémonie idéologique actuelle, souffre finalement elle aussi de ce manque de pluralisme. Elle commence tout juste à s’en rendre compte. Elle ne retrouvera d’ailleurs notre confiance que lorsqu’elle aura retrouvé la seule concurrence qui lui soit bénéfique: celle des idées.
Ainsi, la soif démocratique très largement exprimée par le mouvement des gilets jaunes, indissociable de leur défiance à l’égard des médias, ne doit pas rester sans réponse.
Il incombe à chacun de nous d’accompagner cet élan, à hauteur de ses aspirations et de ses capacités, afin de le conduire à un véritable débat public, ouvert et pluraliste. Pour que ce cri de justice sociale ne s’éteigne pas en vaines querelles et nourrisse à nouveau notre communauté de destin.
Pour que vive la république !