1936 donc…


C’est vrai, c’est une année importante de l’Histoire française. Celle de l’élection du Front Populaire. Ce qui est moins vrai c’est que Julien Duvivier prétendrait avec La Belle Equipe faire un portrait fidèle ou définitif de cette époque.
La Belle équipe n’est pas un film politique, pas un documentaire sur les congés payés, encore moins une prophétie pessimiste de l’utopie socialiste.
Certes le contexte historique y est présent, les références à la guerre d’Espagne, à la République, à l’idéal socialiste évidemment. Mais si ces ingrédients assoient avant tout le réalisme social du film, décrivant à merveille les discours et les aspirations du milieu ouvrier de ces années-là, ils sont pourtant dispensables à l’intrigue principale, qu’on pourrait imaginer se déroulant en toute autre époque ou tout autre lieu.
Car la Belle Equipe dit une chose plus importante que le récit national: Tout immense qu’il soit, il n’est point de bonheur qui ne finisse brisé.


Cette histoire est avant tout celle d’une amitié tragiquement déchue. Celle d’un groupe de camarades qui se rêvent unis pour toujours et que la fatalité, destin ou hasard, va s’acharner à séparer.
Evidemment l’utopie du partage, du bien commun, sont un ciment important de cette amitié. Mais ce n’est pas par là que les fissures, entre eux, apparaîtront.


Ce groupe d’ouvriers au chômage, aux poches vides, logés dans un hôtel miteux, n’ont que leur camaraderie pour se réchauffer. Il faut gueuler sur le petit propriétaire - tout aussi pauvre qu’eux - pour avoir des draps propres et de la lumière après 9 heures. On vit là entassé à 4 ou 5 par pièce…


La précarité, la fragilité de l’existence sont un thème important du film. Et ce contexte social désargenté n’en est pas seulement responsable. Depuis les fleurs tressées par les ouvrières de la première séquence jusqu’à celles de Pâques qui fleurissent le jour funeste de l’inauguration de la guinguette, cette fragilité est partout présente.


C’est une unique bougie qui s’éteint et nous plonge dans l’obscurité. C’est un billet gagnant de loterie qui aurait pu se perdre mais que la mémoire retrouve miraculeusement. C’est le désir de souliers neufs et brillants chassé par la douleur de les porter. Le bonheur est fugace, il ne peut durer.


Pour la démonstration, nos héros gagneront donc une forte somme d’argent qu’ils décideront de placer ensemble dans l’édification d’une maison commune: une guinguette. Un lieu de fête et d’évasion, de chants et d’amourettes. Ils ont du courage, de l’ambition, de l'honneur. Mais hélas, toutes ces qualités ne seront d'aucun secours quand le vent pernicieux de la discorde viendra souffler.


L’amour ne se contrôle pas et pour ne pas trahir, on dissimule, on fuit. L’équilibre se perd et, au milieu d’une danse de joie, la mort tombe comme une guillotine. L’apatride est pourchassé, mais par un gendarme aimable et souriant qui ne fait que son devoir. Et le désir, charnel ou chaste, ce doux sentiment qu’on éprouve malgré la cruauté de celle qui l’inspire, viendra à bout des plus beaux serments de fidélité, corrompre et tordre la confiance, jusqu’au drame final.


Le film est d’ailleurs remarquablement clair sur ses intentions et sur le point de vue tragique qu’il développe. Les rires de ses héros sont sapés de façon tellement systématique, par un évènement ou un autre, qu’il est impossible de douter: Jamais l’oeuvre de Duvivier n’aurait dû supporter une fin « heureuse » comme celle que ces producteurs l’ont contraint à tourner et diffuser durant de si longues années. Trahison non seulement de la pensée de l’auteur, mais de la cohérence de son oeuvre.


Le jeu théâtral de l’époque en rebutera peut-être quelqu’uns. A moi, ces voix aiguës et métalliques, ce ton particulier, cette diction irréprochable de l’une ou la gouaille et l’accent de l’autre, cet enthousiasme général du texte, du regard et du geste sont autant d’enchantements. Celui de voir revivre une époque que je n’ai pas connue et dont j’aperçois, à travers la lucarne, le charme, la vivacité, et le paradoxal optimisme… malgré tout !


L’élégance de la lumière sculptée en studio ou captée en extérieur et que le noir et blanc dramatise encore… La musique géniale, populaire, jamais vulgaire. Quel plan séquence que celui de Gabin entonnant l’indémodable « quand on s’promène au bord de l’eau » !


La tendresse que Duvivier porte à chacun: Charlot et ses amours déçues, Tintin et ses cours de javanais, Jean et sa gueule d’amour avec des yeux à bouffer la vie toute crue. Et le charme venimeux, le sourire tranchant comme un couteau, de la belle Gina…
Toutes ces raisons font de la Belle Equipe un quasi chef-d’oeuvre.


Un film à voir et, certainement plus encore, à partager.

antoninbenard
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le 30 déc. 2017

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Antonin Bénard

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