Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
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le 23 oct. 2022
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"Le voyage" est le livre faisant suite à "Grand Panda et Petit Dragon" du même auteur. Il n'est pas obligatoire d'avoir le tome 1 au préalable, les deux livres sont indépendants l'un de l'autre.
Si j'ai trouvé le côté graphique très joli et poétique, quelque chose me manque du côté de l'histoire.
Alors qu'il semble vivre des insatisfactions ( qui ne sont pas claires, ce pourrait être de l'ennui, un vague-à-l'âme ou une recherche existentielle, possiblement) Petit Dragon se fait proposer par Grand Panda de faire un voyage. Comme ils partent pour une longue marche, il vaut mieux ne pas s'embarrasser du superflus. Petit Dragon doit donc laisser derrière lui sa maison et ses possessions matérielles, en ne gardant que son nécessaire à thé.
Cette partie m'a laissé croire qu'ils allaient faire un voyage, mais je ne pensais pas que ce "voyage" serait du type "on abandonne tout et on quitte son chez soi à tout jamais". Parce que c'est exactement ce qui arrive. Je ne comprenais d'ailleurs pas le deuil que semblait vivre Petite Dragon, parce que quand on part pour voyage, on ne repars pas à zéro. À moins bien sur que ce soit soit ce genre de voyage que font nos réfugiés migrants ou immigrants. Mais là, on n'est plus dans la même notion de "voyage", il s'agit bien plus d'un périple, voir un exil.
Par la suite, toujours en pensant que nos deux amis allaient simplement voir du pays pour gagner quelque sagesse que ce soit, on se retrouve dans une véritable enchainement d'évènements négatifs, marqués par le froid, la faim, la crainte et la dangerosité. Les deux amis se retrouvent sur un radeau de leur confection qui finit par dévier sur la mer, les laissant dériver des jours durant. Alors que Petit Dragon verbalise clairement sa peur, son angoisse et sa tristesse, Grand Panda tourne toujours ses réponses soit en minimisant la chose, soit en observant que la nature est belle. Il fait quelques remarques existentielles, mais qui me semblent pas franchement de circonstances, dans la mesure où Petit Dragon ne semble pas spécialement réceptif à ses remarques.
Il y a quelque chose qui me turlupine quand à ce genre de réponse que fait Grand Panda. Quelque chose de distant, peut-être? Un manque d'empathie? Mauvais timing? Je ne pense pas que ce personnage soit froid et insensible, mais je n'aime pas spécialement sa "sagesse". Sans tomber dans l'apitoiement, un peu d'empathie et de réconfort aurait été bienvenu. Heureusement, Grand Panda offre souvent ses bras réconfortants pour apaiser son petit ami. Au moins, se gestes sont constructifs et apaisants.
Ce qui me semble aussi un peu particulier, c'est que cette situation est de leur fait. Ils ont tout quitté - un tel degré de détachement était-il vraiment nécessaire? - maintenant ils sont en danger de mort. Une simple balade autours de leur région, visiblement, ce n'était pas suffisant. Donc, je suis un peu étonné de ne pas avoir vu de culpabilité de la part de Petit Dragon ou de Grand Panda, pour s'être retrouvé dans un tel pétrin pour un simple état d'âme. S'ils avaient été obligés de partir, le contexte aurait été différent, leurs souffrances auraient un sens, dans un sens, mais là, je vois deux personnages qui se sont donner un objectif vraiment audacieux sans vraiment de déclencheur d'intensité conséquente.
Ultimement, et là vient la leçon de cette histoire, la résilience fait son oeuvre. Petit Dragon survit à ses déboires, son ami est resté près de lui tout ce temps et il réalise peu à peu que si on se détache de certaines possessions matérielles, on peut gagner à mieux discerner les valeurs plus abstraites. Parfois, en quittant quelque chose, on trouve mieux ailleurs, ou du moins on trouve "autre chose" ailleurs. C'est inconfortable de changer, même notre cerveau n'est pas conçu pour apprécier les changements ( les neurones préfèrent les voies déjà tracées, ainsi elles n'ont pas a en créer de nouvelles). Mais sans un minimum d'inconfort ou d'initiatives, on ne voit pas de nouveauté, on reste ancrés dans les mêmes idées et le même environnement. On ne d'auto-actualise pas, en somme. En outre, dans un monde en constante évolution, avoir un certain degré d'adaptabilité ne fait pas de mal. La résilience permet non seulement de murir et développer de nouvelles stratégies d'adaptation, elle nous permet aussi de renforcer notre tolérance au changement.
Quelque chose me chicote aussi du côté de Grand Panda, qui lui est affranchit de toute forme d'attachement à quoique ce soit, sauf son ami. En fait, pour lui, j'ai l'impression que du moment qu'il est bien entouré, que monde change importe peu. Il se dit aussi plus expérimenté de la vie, je veux bien le croire. Mais, je trouve qu'il ne fait pas assez attention à une chose: les besoins de son ami. Nos besoins sont variables de l'un à l'autre. Pour certains, et Petit Dragon semble en être un, le cercle social, la maison ( par extension , le "foyer") et les objets ( comme son précieux service à thé) sont importants. Et ce n'est pas moins estimable. Grand Panda minimisait leur importance, peut-être parce que n'est pas important pour lui. Ça ne rend pas la peine de Petit Dragon moins grande, néanmoins, et en ami, il me semble que son rôle aurait été de compatir quand il dit que c'est important pour lui, pas de l'enfoncer dans l'idée qu'il faut s'en détacher. Grand Panda me donnait L'impression de transposer sa vision des besoins à son ami et ça, ça ne me plait pas.
Et puis, pourquoi cet impératif du non-retours? Pourquoi dire qu'on a tout perdu et qu'on ne reverra pas la maison et les amis? Ils sont simplement en voyage, pas en exil! Qu'est-ce qui les empêche de faire marche arrière ou revenir un jour? Cette partie là ne sera pas éclairée.
Je pense que de manière générale, j'éprouvais beaucoup de compassion pour le personnage de Petit Dragon, qui a manifester le désir de changer de routine ( ou quelque chose de similaire) et qui a tout perdu. Oui, au final il va sortir plus fort, oui, il avait un ami pour vivre ce périple avec lui et certes, il aura une nouvelle maison dans un nouveau lieu. Je me demande si tout cela était franchement nécessaire? Si un tel degré de changement était nécessaire?
Au final, il y a aussi quelque chose de triste à voir Petit Dragon rater les beautés de la nature. Grand Panda y est sensible, mais je reviens à mon constat sur les besoins: Sans attache pour le foyer, le cercle social et les objets, je ne suis pas très étonné qu'il soit plus serein face à leur situation et donc, plus réceptif à son environnement immédiat. Petit Dragon, pour sa part, jongle avec trop d'émotions pour y prêter attention et très franchement, c'est compréhensible. Quand le vide, la peur, le deuil et la déprime sont de la partie, c'est difficile d'être charmé par le concert de la mer, les symphonies de couleurs ou les tableaux du ciel. Dommage, car c,est aussi une des joies de voyager.
Ce que j'ai surtout vu, c'est deux amis complètement opposés sur leur état émotionnel et psychique.
Je concède que Grand Panda offre au moins une présence positive. Il n'accable pas de reproches, il sait utiliser les silences et offre certains besoins à petit Dragon, comme la chaleur, un abri ou un geste affectif, même quand celui-ci semble déconnecté du monde. Ça c'est une belle marque d'amitié. Donner sans retours, quand ça compte, de manière altruisme et sincère, c'est une beau gage d'amitié significative.
J'aime bien les histoire de voyages, car je connais et reconnais leur valeur. le voyage nous ouvre les yeux sur d'autres réalités, sur d'autres beautés aussi et met à mal nos rigidités qui s'installent parfois bien sournoisement. Surtout, le voyage nous met face à nous même, il permet de recentrer sur l'essentiel et il arrive même que que nous nous surprenions. On oublie que connaitre les autres est une chose importante, mais se connaitre soi-même est essentiel. Voyager, dépendamment de quel type nous conviens, permet de se placer dans des situations qu'on ne rencontre pas d,ordinaire, donc on a pas le choix de se questionner, se recentrer et introspecter. Il arrive un peu de tout ça à Petit Dragon. En revanche, je me demande bien ce que Grand Panda peut avoir apprit de ce voyage, ce n'était pas clair.
Plus j'écris, plus je réalise que je trouve que Grand Panda et Petit Dragon sont deux versants de médailles, mais pas dans le sens où je l'aurais trouvé réellement touchant. Grand Panda me semble trop détaché et Petit Dragon trop attaché. Ç'aurait été intéressant de les voir se compléter quelque part dans ce voyage, que les deux fassent des prises de conscience, mais Grand Panda est dépeint comme "la sagesse incarnée", il a donc toujours "raison". Ça m'agace, parce que ça laisse comme impression que Petit Dragon est dans le rôle de celui qui doit gagner en sagesse et n'a donc rien a apporter à Grand Panda. Je pense, mais c'est là mon opinion, que la sagesse a diverses formes et que nous en avons tous un peu en nous. Petit Dragon n'aura certainement pas semblé pouvoir partager la sienne. Et puis, certaines répliques de Grand Panda m'ont fait sourciller.
Les illustrations sont belles, variant entre crayon plomb avec un style de croquis, alors que d'autres étaient en aquarelle. La palette change, l'auteur nous en glisse d'ailleurs un mot à la fin, ce qui accentue le changement de décor. Les paysages sont agréables à regarder et j'aime le côté "estampe" des pages illustrées.
Je suis donc mitigée quand à cette oeuvre. Je sens la fibre philo que sous-tend le thème du voyage et très certainement le thème du deuil - inattendu - de Petit Dragon. Mais ce voyage fut pour moi surtout marqué par des désaccords avec la vision du personnage de Grand Panda, le fait que le point de départ de ce voyage contraste un peu trop fort avec le drame entourant ledit voyage et l'impression qu'il fallait atteindre le fond du baril pour trouver la résilience. C'est une histoire remuante, il y a de ça, mais ça reste léger pour ma part, comme si ça ne coulait pas bien.
Je pense que ce genre de livre est du type à provoquer ou non toutes sortes de réactions. Il y a un fond de pertinence, je le sens, je l'entends, mais le ressenti est resté vague pour ma part. Je pense cependant, avec mon expérience des livres, que ça reste le genre de lecture qui peut être intéressante pour extrapoler et philosopher. Ça ne veut pas nécessairement dire d'adhérer aux propose des personnages, pour preuve, j'ai des oppositions à ceux de Grand Panda, mais l'idée est que ça a soulever tout un pan de réflexion en moi, même avec ces désaccords. Il y a parfois de ces livre avec lesquels ont est plus ou moins en accord, mais dont on reconnait la pertinence. Pour moi, le voyage" est de ceux-là.
À voir.
Pour un lectorat du troisième cycle primaire et plus, 10-12 ans+.
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Créée
le 30 juin 2023
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