Dans ce bref essai, d'environ 170 pages Nathalie Heinrich s'attaque, après d'autres, à un thème très en vogue dans le débat public contemporain : le wokisme, avec un titre accrocheur qui laissait présager un pamphlet de la pire espèce, tant le mot totalitarisme est mis à toutes les sauces.


Pourtant, force est de reconnaître que Nathalie Heinich s'en tire bien dans cet essai, qui vise clairement à s'inscrire dans la lignée de l'Opium des intellectuels (1955) de Raymond Aron en s'efforçant tout à la fois de comprendre et de critiquer les positions adverses en ayant essayé, au moins un peu, d'en expliquer les raisonnements de bonne foi.


Et si je ne partage pas l'assimilation du soutien à la cause woke à une forme 2.0 du compagnonnage de route staliniste, ne serait-ce que parce que l'ampleur de ce qu'on peut reprocher aux uns et aux autres diffère, Nathalie Heinich se montre convaincante sur sa principale ligne d'argumentation qui ne nie pas la pertinence des aspirations initiales du mouvement mais en dénonce les méthodes et certaines dérives- la confusion entre le savant et le politique, une tendance à fermer les yeux sur toutes les fautes des "victimes", ou encore des créations de catégories sociales (racisees, genrisees) pour des individus récusant d'y appartenir et qui s'inscriraient, dans un schéma simplificateur du réel à l'excès le réduisant à une lutte des discriminés contre les discriminants.


Cette attitude critique, mais fondée, fait que les arguments de Heinich, à défaut de me faire adhérer à une réponse positive à la question posée par le titre de l'ouvrage, méritent d'être médités. Elle fait l'effort de comprendre les multiples combats à l'origine du mouvement woke- féminisme, antiracisme, pro-LGBT...- sans complaisance pour leurs défauts mais sans tomber dans les facilités de l'anti-intellectualisme en vogue ou de l'agitation du spectre d'une croisade qui serait au fond un grand mouvement puritain qui s'ignore et en réaffirmant solennellement son soutien, malgré les critiques à son encontre auxquelles elle s'efforce de répondre, à l'universalisme.


Plus court et parfois plus sommaire que son ancêtre l'Opium des Intellectuels, cet ouvrage vaut le détour pour qui s'intéresse à ce sujet contemporain.


NB: l'ouvrage dispose en plus d'une liste de lectures supplémentaires pour compléter ses idées sur le sujet, parmi lesquels un très bon ouvrage de Roudinesco.

Lestrade
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le 28 mai 2023

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