Çà y est, j'ai mon Voight-Kampff !
Pour où commencer ? L'évidence est que j'ai bien eu une "Oeuvre" littéraire entre les pognes, et non pas un simple "livre". Sa portée est bluffante. La justesse de l'écriture, mêlée à la jubilation d'un livre qui pour une fois, mérite bien son statut de classique, m'a transporté d'un bout à l'autre du roman.
Sur fond de thriller fantastique, pile poil entre une ambiance cyber-punk d'avant garde (le roman est parut en 1968 !) et de futur post apocalyptique, on découvre une enquête policière mêlée d'une anticipation scientifique qui vous explose littéralement à la tronche par sa justesse et sa portée. Philip K. Dick est vraiment un visionnaire.
Passons sur le tout venant : la partie histoire est exceptionnelle de maîtrise, du dimensionnement jusqu'au rythme, en passant par la profondeur des personnages.
Philip K. Dick prend un malin plaisir à vous mener par le bout du nez tout en vous ouvrant des portes inattendues, à portée métaphysique.
L'histoire fait en effet se confronter à un moment charnière une humanité en déclin et des androïdes dans leur ascension.
Une humanité désoeuvrée, incapable de penser par elle-même à force d'avoir trop cherché à se simplifier la vie dans tout les domaines. Mécanisation, robotique, contrôle de la pensée... Tout y passe, y compris notre refus de la différence et la peur de l'inconnu, qui nous a poussé mécaniquement vers un holocauste nucléaire.
Cette humanité maudite, restée sur Terre, use et abuse d'orgues d'humeurs (machine servant à se contraindre à changer d'humeur), subit une pensée pré-mâchée au travers de la propagande gouvernementale, ou se dilue dans la futilité, entre Dogme et secte religieuse. Les gens se connectent frénétiquement à n'importe quel appareil pouvant leur ôter tout libre-arbitre ou plus généralement, pouvant leur distiller une pensée pré-construite. Le moindre effort est évité, éludé ou bannit. Et surtout cet état de pauvreté intellectuelle est justifié et entretenu par le pouvoir, qui incite à émigrer vers des colonies pour se vider encore plus de toute substance en bénéficiant d'un esclave gratuitement. Un androïde.
Tout est bon pour ne surtout pas avoir à être seul intellectuellement mais aussi physiquement. Les humains recherchent également à posséder à tout prix un animal électrique ou, le summum, un animal naturel et hors de prix.
Un comportement élevé au-dessus du mercantlisme primaire pour atteindre une véritable dimension religieuse !
Impossible de ne pas faire le rapprochement avec notre société de consommation ou notre allégeance quasi générale aux mass-médias, (surtout en France) et QUARANTE - CINQ ANS PLUS TARD ! J'ai trouvé cette vision terrifiante de justesse...
Mais le plus beau est sans doute cette crainte si bien rendue dans le roman, de l'androïde, qui lui a tout a prouver, et qui tend frénétiquement vers la dimension intellectuelle de son créateur humain. En explorant des romans, (de science-fiction, j'ai adoré clin d'oeil) des revues, en usant même de drogues pour explorer la dimension spirituelle... Là où l'humanité régresse, les machines progressent, inlassablement. Là aussi, ça fait froid dans le dos.
Cette recherche passe par ailleurs au-delà de la limite de la machine : l'impossibilité de faire face au renouvellement cellulaire et surtout le manque d'empathie.
Les androïdes essaient donc d'utiliser n'importe quel moyen pour arriver à leur fin, en pure logique. Le roman passe donc sur tous les terrains de l'éthique.
Sexe avec un androïde, (et même de prostitution, fallait le tenter dans l'Amérique puritaine des années soixante, même avec mai 68) mais aussi cohabitation entre humain et androïdes, assez similaires sur le fond et la forme de la ségrégation raciale qui sévit (encore) à cette époque. Pour la petite histoire, un ennième retournement intervient en 1967 avec le jugement qui rend anti-constitutionnelles les lois permettant un mariage mixte (c'est-à-dire entre noirs et blancs, il n'y a pas de dimension homosexuelle). La cours suprême intervient lors de l'affaire Loving vs. Virginia et provoque un tollé incroyable.
La-dessus on rajoute encore une louche avec la dimension religieuse à laquelle aspirent certains androïdes, et vous avez une idée de la dimension incroyablement avant-gardiste de cette oeuvre.
Je ne m'étonne donc pas de trouver une raisonnance très actuelle ni même de nombreuses similitudes avec d'autres livres, films, ou séries... Les plus récents étant les excellents I-Robot et la série Real Humans. (Parler de 2001, l'Odyssée de l'espace serait-il si exagéré que ça ? Mon coeur saigne...)
Et on ne peut même pas dire que c'est lourd et embêtant à lire... C'est passionnant et extrêmement fluide, intelligent ! Mais quelle claque !