Chaque rentrée littéraire est une sorte de foire au livre géante : les éditeurs sont sur les dents, les auteurs enchaînent les promos qui les épuisent autant qu'ils le font vendre, les libraires composent leurs tables et cherchent à mettre en avant leur perle rare, les lecteurs sont noyés sous une avalanche de critiques, d'interviews et de conseils. Dans ce bazar immense, cette agitation livresque, il faut se laisser guider par un esprit d'aventure et d'audace pour quelques romans seulement, et miser sur ses auteurs fétiches pour s'en sortir. Les bons romans émergeront naturellement dans quelques mois, rien ne presse. En quelques mots, voilà pourquoi Les anges meurent de nos blessures figurait dans ma sélection réduite des romans de la rentrée littéraire.
Dans l'Algérie colonisée des années 20, nous suivons le destin de Turambo, jeune miséreux promis à un destin ordinaire, dans un pays conquis pas ces français qui rappelent non sans plaisir aux jeunes "bougnoules" la place qu'ils entendent leur faire occuper dans la société. Pourtant, dans sa soif d'ascension, rien n'arrêtera Turambo : ni sa peur bleue de la police, ni les coups durs de la vie, ni son oncle Mekki qui le vilipende sur ses choix de vie.
Quand s'offre à lui la possibilité d'une carrière dans la boxe, il saisira l'opportunité de devenir quelqu'un. La tête gonflée d'espoir, il ne se méfiera guère des intentions peu philanthropes de ceux qui cherchent à le porter au sommet. Turambo apprendra à ses dépends que, contrairement à ses combats sur le ring, on sort rarement vainqueur d'un engagement aux côtés des blancs dans l'Algérie d'entre deux guerres.
Yasmina Khadra signe avec ce dernier roman le récit d'une vie et d'une époque ; jamais ennuyeux, historiquement intéressant, sociologiquement passionnant, il raconte l'histoire des enfants de son pays, l'histoire de ces jeunes arabes qui voulaient avoir la même vie que les colons qui profitaient de leurs richesses, quitte à y laisser des plumes. Sans jamais s'adonner à la facilité du misérabilisme, ni chercher à faire larmoyer le lecteur, il nous offre une très belle lecture à tous égards.