Grâce aux poètes danois ce qui me parlait me parle encore

À cause des poètes danois je ne suis pas allée chez l'esthéticienne.

À cause des poètes danois je ne suis pas allée au cinéma, ni à la librairie, ni voir l'exposition de Georges Didi-Huberman.

À cause des poètes danois je suis au cimetière de Montmartre et je trouve que les fleurs sont rares, que l'on croise moins de chats qu'avant mais plus de corneilles, que les corneilles sont sans-gênes,

presque aussi agaçantes qu'au parc, les parents des enfants.

Le 4 novembre j'étais dans le TGV avec les poètes danois et le train s'est arrêté un bon moment le long d'un cimetière. La nuit tombait et le cimetière n'était éclairé que par les couleurs des chrysanthèmes, en particulier par les chrysanthèmes jaunes :

Dans leur rayonnement j'ai pu lire le nom des morts sur les stèles.

Il y a dans le recueil de Thomsen, un poème à propos d'un rituel de cimetière :

Chaque année à cette date

devenue par hasard celle de ton anniversaire,

nous allons en train à Arhus

pour nous rendre sur ta tombe

qui est bien l'endroit de ce monde

où tu n'es pas.

Traversant la ville nous achetons en chemin des fleurs

et discutons comme n'importe quel autre jour

jusqu'à nous retrouver devant la pierre.

Et il pleut immanquablement au retour.

Puisque rien de cela n'a de sens

et pourtant a bien lieu,

cela doit être de la plus haute signification.

(p91)

Mon père dit avoir entendu à la radio que les cimetières sont les endroits de Paris où l'on trouve le plus de biodiversité,

y'a des renards, y'a des fouines, y'a des piverts, y'a des hérissons, y'a même une chouette hulotte au cimetière d'Ivry,

que les humains qui sont là ne gênent pas.

Je me demande tout de même si ce ne seraient pas les corneilles qui auraient fait disparaître les chats du cimetière de Montmartre.

Le sosie de Dalida se fait photographier devant sa tombe.

Il pleure.

Une femme se promène dans les allées

à la recherche d'un prénom

pour son bébé.

Parmi tous ces poèmes

sur la mort et le souvenir,

on aura trouvé place ici pour 11 vers

sur les pissenlits

dont cette année encore j'avais oublié que la lumière

s'allume tout à coup comme un parc d'attractions

et sur la façon dont on s'endort chacun dans son sommeil

dans le même lit

pour se réveiller au plus profond de la nuit

et du silence

une main si légère à l'épaule.

p109.

Il paraît qu'il y a dans le Grand Nord

des fleurs vibrant pour les yeux de personne.

Ce sont des espèces inconnues

qui trouvent parfois dans les poèmes

une place

où s'ouvrir pour les yeux de quelqu'un.

Parmi tous ces poèmes

sur la mort, le souvenir et les fleurs

Parmi les flots de nouvelles électriques venues de la radio,

nous désespérons

de trouver quelques vers

qui auraient l'air marrant

tandis qu'à la sortie du cimetière

deux petits garçons s'interrogent :

– dis, tu y crois toi, au Bon Dieu ?

– Non, pas vraiment, par contre je commence à croire au Mauvais.