« Le père, excédé, morigéna son fils», dit la grammaire, c'est sans importance, mais «la sale carne a encore épignolé le fromage des clients!» et la boutique s'assombrit, ma mère hurle…. Les seules choses vraies sont là, celles qu'on sent partout, même entre les jambes. Les gâteaux roses qui m'ont fait dégobiller toute la nuit, ma mère me souffle dans le noir «avale la menthe, ça t'enlèvera le barbouillage». Grincement clair du goupillon dans les bouteilles que mon père lave et son «fous le camp d'ici, la gosse!» Toute chaude à l'endroit, «mets-y pas la main, ça l'esquinte»... Abat-voix, abaisse-langue, allégorique, ça, c'était toujours un jeu, et je récitais les pages roses, la langue d'un pays imaginaire. C'était tout artificiel, un système de mots de passe pour entrer dans un autre milieu. Ça ne tenait pas au corps, ça ne m'a jamais tenu sans doute, embroquée comme une traînée que dirait ma mère, les jambes écartées par le spéculum de la vioque, c'est comme ça que je dois dire les choses, pas avec les mots de Bornin, de Gide ou de Victor Hugo. Tout ce que j'ai pu avaler comme histoires, littérature, romans. Les mots de mes parents, là-bas tout au fond, ceux dont j'évite de me servir, ou que j'ai oubliés, même pas volontairement, enfouis sous des milliards d'autres, exercices de la grammaire jaune du cours moyen, Lisette, Ames vaillantes, toute la Bibliothèque verte, les Lectures expliquées, les petits classiques, le Lagarde et Michard, ça a rentré par tous les bouts. Je ne pourrais pas les retrouver, les premiers, les vrais. Ceux de l'école, des livres ne me servent à rien ici, volatilisés, de la poudre aux yeux, de la merde.