Belle réflexion sur l'Histoire

Il s'agit d'un recueil d'articles que Vidal-Naquet écrivit dans les années 1980 contre Robert Faurisson et les thèses des négationnistes.

Ce n'est sans doute pas le texte qui leur a cloué le bec, car il aurait pu aller plus efficacement à la racine des arguments fallacieux de Faurisson et de sa clique, mais il n'était pas facile, à chaud, face à l'absurdité des thèses révisionnistes, de retenir ses émotions et d'être froidement objectif, surtout sur de telles questions.

Il n'en reste pas moins qu'on a ici un ouvrage qui, en montrant comment l'Histoire peut être dévoyée, en montre toute la difficulté intellectuelle et toutes les grandeurs.

L'introduction annonce la couleur. A noter le souci de Vidal-Naquet de dire qu'en aucun cas il ne se place sur le même niveau de discussion que les négationnistes : "Imagine-t-on un astrophysicien qui dialoguerait avec un "chercheur" qui affirmerait que la lune est faite de fromage de Roquefort ?"

Un Eichmann de papier est l'article central de l'ouvrage. Paru en 1980, il démonte un certain nombre d'arguments des négationnistes et montre leur fond commun d'antisémitisme. Ce n'est en aucun cas un article exhaustif, des ouvrages bien plus documentés sont parus depuis (ceux de Valérie Igounet, notamment). Mais ce fut un jalon. A noter en annexe la note d'un chimiste prouvant que les chambres à gaz étaient techniquement possibles, contrairement à ce qu'affirment les négationnistes.

De Faurisson à Chomsky est un texte fort regrettable. Rappelons qu'au moment de la loi Gayssot interdisant le négationnisme, Chomsky avait défendu Faurisson, non pas pour ses idées, mais pour son droit à les faire valoir. Il avait écrit une lettre, qui se retrouva en préface d'un livre de Faurisson (sans, paraît-il, que Chomsky ait été informé). Vidal-Naquet accuse Chomsky de mauvaise foi. Ces deux grands esprits se trouvent rapetissés par cette polémique stérile. Du gâchis, dont Faurisson n'a pu que se réjouir.

Du côté des persécutés (1981) est un court texte sur le fait que ce sont les historiens, et non les tribunaux qui doivent décider de la vérité historique.

Thèses sur le révisionnisme (1982, révisé en 1985) analyse les différentes branches du négationnisme.

Les assassins de la mémoire (1987) part d'un texte de Thucydide sur un massacre d'Hilotes. Très fragmentaire, ce texte montre toutes les limites des sources historiques, limites qui constituent le principal fonds de commerce qu'utilisent les négationnistes. Il revient sur certains pièges du négationnisme. C'est le texte où l'on sent le plus que malgré ses origines juives, Vidal-Naquet ne cautionne pas du tout la politique d'Israël vis-à-vis des Palestiniens. P. 174, il fait remarquer à propos des massacres de Sabra et Chatila qu'une historienne juive de gauche comme Annie Kriegel, face à ces questions, a pu avoir une attitude faurissonienne : honnêteté intellectuelle qui ne manque pas de courage.

Les assassins de la mémoire n'est pas le meilleur livre écrit sur la question du négationnisme ou contre les thèses négationnistes. Il fait parfois des digressions, laisse parler l'émotion. Mais c'est un ouvrage profondément humaniste et honnête intellectuellement, qui montre ce que doit être le métier d'historien. C'est indiscutablement un classique, à recommander à tout étudiant en Histoire.