Un bon ami m'a offert ce livre, car lui-même n'avait pas accroché. Je comprends pourquoi.
Une introduction intéressante et renseignée nous informe sur l'oeuvre de Catherine Moore. Auteure de SF des années 1930, elle était fascinée par les mythes antiques, et son écriture, qui distille une horreur un peu datée, a énormément inspirée H. P. Lovecraft. Ce qui saute aux yeux.
A priori, on croit avoir affaire à un recueil de nouvelles de SF des années 1930, ayant pour héros un aventurier courageux et sans scrupules, Northwest Smith, sorte de belle brute blonde parfois accompagné d'un acolyte vénusien, Yarol. La plupart des aventures se passent sur Mars. Sauf que....
Sauf que la plupart des histoires parlent bien davantage de magie, de civilisations oubliées, de fantômes, de nom-qu'-il-ne-faut-pas-prononcer, de souterrains que de vaisseaux spatiaux. Le décor martien fait d'ailleurs sourir, puisque Moore fait encore allusion à la théorie des canaux de Mars. En réalité, il s'agit bien moins de SF que du mélange de deux autres genres propres aux années 1930 :
- tout d'abord le roman policier "hard-boiled". Smith est un dur à cuire à qui on ne la fait pas, qui ne suit que son intérêt personnel, et qui survit dans un monde urbain où il côtoie des mercenaires, des psychopathes, etc....
- Surtout, et avant tout, la dark fantasy. Souterrains, femmes aux formes affriolantes, lourdes tentures, robes à capuchon, noms de démons à coucher dehors, trônes vides, sortilèges et illusions : on a davantage l'impression de lire une version martienne de Conan le Barbare qu'un livre d'Asimov.
Le côté fantastique est intéressant, mais les nouvelles délayent un peu trop les effets, et souvent le scénario est assez prévisible, donc au-delà du style, il n'y a pas grand-chose à en tirer. J'imagine assez bien les revues pulp où ce genre d'histoires devait paraître. Bref, survolons rapidement les histoires (ne lisez pas si vous ne voulez rien savoir) :
- "Shambleau" : Smith héberge une jeune femme que toute la population déteste. Elle se révèle être une Shambleau, dont les cheveux pompent son sang pendant la nuit.
- "La soif noire" : Smith doit escorter une jeune femme dans la forteresse Minga. Elle est promise contre son gré à l'Alendar, être millénaire qui façonne les jeunes femmes jusqu'à une beauté extrême dont il se nourrit.
- "Rêve écarlate" : Nouvelle très psychédélique où Smith est prisonnier d'un rêve après avoir acheté un châle rouge, variation sur le mythe des lothophages, entre autre.
- "La poussière des dieux" : Un personnage engage Smith et Yarol pour lui ramener la poussière des anciens dieux (Pharol, Saig et Lsa) conservée dans une cité souterraine. Deux autres mercenaires en sont déjà revenus fous. Les deux compères finissent pas la trouver, mais la détruisent.
- "Juhli" : Smith est prisonnier dans des ruines en même temps qu'une jeune femme, Apri. Juhli, un être féminin d'une autre dimension qui peut manipuler l'espace, les empêchent de sortir. Smith se laisse entraîner dans un monde parallèle, mais finit par tuer Juhli alors que celle-ci veut lui vider le coeur. Il tue aussi Apri, qui est en fait le véhicule entre les deux univers.
- "La nymphe des ténèbres" : Courte nouvelle, Smith assiste à la danse de Nyusa, la fille d'un dieu.
- "Le dieu gris et froid" : Dans chaque maison martienne, on trouve un symbole oublié. Smith rencontre une ancienne star, la vénusienne Judai, qui l'attire chez lui. En fait la star est le jouet d'un ancien Dieu qui veut revenir sur Mars et prend possession du corps de Smith. Le vieux Mhici, tenancier, intervient au moment où le Dieu, dans un brouillard gris, est sur le point de se matérialiser.
- "Yvala" : enfin de la SF ! Yarol et Smith vont sur une planète tenter de capturer des femmes-sirènes. Ils en trouvent, mais elles se ressemblent étrangement et disent toutes s'appeler Yvala. Enfin, la vraie Yvala arrive et subjugue les deux héros par ses charmes. Par miracle, Smith se libère et la tue.
- "Paradis perdu" : J'ai lu un peu en diagonale. Cette fois Yarol et Smith sont sur Terre, à New York. Ils sauvent un Sélès, une ancienne race qui a un secret. Yarol force le Sélénite à le révéler : son peuple manipulait le temps, maintenant ils peuvent juste y voyager en images. Par un paradoxe qui m'a échappé, le Sélès crée le cataclysme qui cause la chute de son peuple.
- "L'arbre de vie" : Poursuivi, Smith se cache dans un temps abandonné. Il rencontre une femme, qui disparaît dans l'ombre d'un arbre. Acculé, Smith fait de même et se retrouve dans un univers parallèle régenté par un démon, Thag, dont la femme vue est la prêtresse. Thag prend la forme d'un arbre et a asservi la race de son micro-univers au point de la faire dégénérer. N'importe, il s'en nourrit.
- "La femme-garou" : cauchemar halluciné où Smith, rattrapé par des loups, tombe sous l'emprise d'une femme-loup et devient lui-même un loup-garou sans identité. Une entité se met à le poursuivre, et au moment où elle va le rattraper, Smith se réveille. La poursuite est une belle transcription d'impressions vécues dans les cauchemars.
- "Chanson en mode mineur" : micro-nouvelle où Smith se souvient avec nostalgie d'une enfance heureuse, dont un mystérieux crime l'a chassé.
Bref, un livre d'Heroïc Fantasy qui m'a semblé assez long et fastidieux, et n'a d'intérêt que pour les historiens soucieux de chercher les racines de Lovecraft. Fans de SF, passez votre chemin.
