Conclure une saga aussi dense et complète que Les aventuriers de la mer était loin d’être aisé. J’ai beau être un fervent admirateur du talent d’écrivaine de Robin Hobb, ses fins de séries m’ont souvent laissé des impressions mitigées, à l’image des happy ends forcées du deuxième cycle de l’Assassin Royal et des Cités des Anciens. Ce troisième tome endossait donc la responsabilité d’achever le développement de tous les personnages en les reprenant là où ils avaient été laissés. Car si ce roman m’a appris une chose, plus que les deux précédents, c’est que les personnages sont au cœur du récit et le font vivre par tous les moyens.
Le premier tome avait le défaut d’être assez poussif lors de son démarrage, quoique nécessaire pour bien poser tous les enjeux. Le deuxième tome réglait ce problème : il ne commençait pas vraiment ni ne se terminait, ce qui lui permettait d’enchaîner les péripéties à bon rythme. Ici, c’est encore différent : la conclusion est préparée, lentement et sûrement… au détriment de ce même rythme. Althéa et Brashen mettent plus de 600 pages à rattraper le navire de Kennit, « l’emprisonnement » de Malta et du Gouverneur s’éternise inutilement, le personnage de Hiémain tourne en rond dans sa psychologie, les dragons prennent beaucoup d’importance pour pas grand-chose (bien que cela soit indispensable pour préparer Les cités des anciens), et les passages à Terrilville sont trop bref et éclipsés. Bien écrit, toujours plaisant à lire, ces passages étirés gâchent un peu la lecture.
En parallèle, la saga continue de s’affirmer, ce tome-ci gravitant davantage que les deux autres autour du thème du pouvoir féminin. L’on croyait qu’Althéa avait déjà assez subi, voilà qu’elle est violée par Kennit en fin de tome sans que personne ne partage son indignation. Malta est contrainte à aider le Gouverneur Cosgo à survivre, mais cet incarcération la feront mûrir, jusqu’à devenir la Reine des Anciens dans le prochain cycle. Probablement le personnage qui a le plus évolué depuis le début. Etta passa de prostituée à reine des Iles des Pirates, elle aussi se targue d’une ascension fulgurante. Jek est également un excellent second rôle, fidèle à elle-même jusqu’à la fin, et est même plus mémorable que l’énigmatique Ambre (qui n’est pas vraiment une femme quand on connait ses origines !) Citons aussi Terrilville dont l’avenir est tranché par les femmes de la famille Verstrit et par Sérille, l’une des Compagnes du Gouverneur. Le féminisme reste au cœur du récit, traité avec finesse et intelligence comme il le faut, contrairement à d’autres thèmes tournant au récit auxquels ce tome n’apporte rien (comme l’esclavage, et c’est dommage).
Les personnages féminins s’illustrent, se démarquent… au mépris des personnages masculins. Le meilleur d’entre eux demeure Kennit, ambigu jusqu’à sa mort cohérente avec son développement ? Était-il bon, mauvais ? Tantôt libérateur d’esclaves, tantôt violent, il est le personnage le plus gris de l’histoire. Dommage pour Reyn, dont la seule utilité consistait à chevaucher les dragons, pour Hiémain, qui quitte juste définitivement son titre de prêtre pour vivre en mer. Mais le pire de tout reste et restera toujours Kyle Havre. Robin Hobb doit vraiment avoir un problème avec les hommes pères et maris de 30-40 ans, tant elle les affuble. Esclavagiste, misogyne, irrespectueux, violent, haineux, ce personnage que j’espérais disparu pour toujours, il revient… pour mourir. Comme un débile. Ça valait bien la peine de le revoir pour qu’il insulte une ultime fois Althéa et Hiémain. On remarquera d’ailleurs que, hormis Keki qui est plutôt secondaire, cette saga aura plutôt fait mourir ses personnages masculins, autre symbole du pouvoir féminin illustré ?
Quelques déceptions de rythme et de traitement, cette intégrale 3 reste un bon roman comme Robin Hobb sait bien en écrire. Une belle conclusion pour cette aventure dans les mers.