Les Cendres du temps

Les Belles Endormies semble se baser sur un principe paraissant être une contradiction, du moins dans le monde occidental, avec ce qui pourrait s’apparenter à des prostituées (payer pour passer une nuit avec une fille) pouvant très bien être vierge.

Ce concept, bien que toujours présent, passe assez vite en second plan, Les Belles Endormies est avant tout une oeuvre mélancolique, sensuelle, dérangeante et profondément humaine. Ces filles, nues et jeunes, contrastent avec le vieil Eguchi, protagoniste du roman, qui va, durant ces nuits, se perdre autant dans ses souvenirs qu'avec diverses curiosités, en lien avec le fantasme du corps jeune et beau féminin. La sexualité prend une place primordiale, à travers les fantasmes mais aussi l'incapacité, et cette thématique vient se mêler à celle de la mort et donc, du passé qui resurgit et de ce qui a marqué, ou non, dans une vie.

Dans un premier temps, Yasunari Kawabata va décrire son personnage comme troublé face à la situation du protagoniste. Il y a l'interdit évidemment, le côté dérangeant d'être à côté d'un corps endormi qui n'aura jamais l'occasion de savoir ce qu'il s'est passé, ni même d'avoir connaissance du vieil Eguchi, et ce sont des sentiments que l'on va aussi ressentir. L'interrogation laisse vite place au trouble, au mystère ainsi qu'à une sensualité de plus en plus forte, notamment lorsque l'auteur décrit, par le biais de son protagoniste, les corps des femmes. Il ne laisse que peu de place à l'imagination.

Peu à peu, au contact d'une jeune fille, le vieil Eguchi va retrouver des sensations passées, que ce soit par le biais d'une odeur ou d'un geste, il est alors plongé dans des souvenirs lointains, souvent à propos de femmes. On ressent toute cette mélancolie à travers la plume de Yasunari Kawabata, mais aussi l'impression, plus générale, d'hommes proches de la mort venant ici pour soulager leur âme mais aussi un questionnement sur le sort des femmes, droguées et inconscientes pour satisfaire des vieillards. C'est aussi ce malaise qui ressort du livre, qui vient se mêler à la poésie avec laquelle est dépeint le vieil Eguchi.

Yasunari Kawabata propose un étonnant et fascinant contraste avec Les Belles Endormies, celui d'une plume élégante, qui dépeint le troisième âge avec sensualité, poésie, profondeur et mélancolie avec une sensation de malaise ainsi qu'une réflexion sur la mort traversant l'oeuvre.

(merci San)