Critique de Shaynning
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Voici un roman à la narration singulière, tenue par un coquillage, qui à travers son "regard" témoigne de l'histoire d'Émile, jeune garçon de son état, qui sur son précieux vélo rose, parcours son milieu en y semant des boîtes aux lettres. À mi-chemin entre prose et poésie, en faisant intervenir d'autres objets, comme s'ils étaient dotés d'âmes, nous suivons ce garçon rempli d'espoir de retrouver son père disparu, convaincu qu'il lui écrira s'il trouve l'une de ses boîtes aux lettres.
Dans un premier temps, j'admire ce choix narratif, faire parler un objet-témoin n'est pas fréquent, je trouve, en littérature jeunesse. Et il y a les autres objets aussi, dont le vélo rose ( enfin un garçon fier de son vélo rose!) Rosie, qui a un tempérament à elle. On peut le percevoir dans les verbes qu'on lui attribue, comme on le ferait d'une personne. Même Émile s'adresse à elle comme une personne, sa confidente.
Chaque boîte à lettre est une histoire en elle-même et quelles jolies histoires! On a donc clairement un axe réflexif avec ces boîtes. Celle du Lac était ma préférée, car elle parlait de la désolidarisation des gens, devenus individuels et lobotomisés devant leurs écrans. Pourtant, cette boîte à lettre là permettait la correspondance de deux amoureux. Il y a quelque chose de juste dans ce contraste, je trouve.
Je dois dire que cette histoire est sincèrement touchante, avec ce petit garçon qui cherche son père et qui en dépit d'une situation grave, ne désespère pas de revoir son foyer uni. Il ne s'agit pas du sujet principal, c'est révélé à la fin, mais la violence conjugale est la raison du départ du papa. Comme il doit être difficile pour un enfant de faire le deuil de son parent, même inadéquat. Combien d'enfants restaient-ils fidèles et aimants de leurs parents, en dépit de leurs comportements parfois incorrects? Ce n'est pas simple comme situation. J'apprécie cependant le choix de l'auteur de ne pas faire tomber la maman dans les bras de papa, une fois revenu dans les environs. On le sait maintenant assez bien, mais la violence conjugale est cyclique: souvent le retours du parent violent se solde en nouvel épisode de violence après une brève lune de miel. J'apprécie que nous ayons ici une maman solide et capable de refuser de revenir avec un conjoint violent, pas seulement par considération face à sa propre valeur, mais aussi celle de son fils.
Aussi, je remarque qu'Émile s'adresse à son vélo comme une amie, peut-être l'expression de son besoin d'adresser ses craintes, partager son espoir et confier ses tracas. La manifestation d'un sentiment d'isolement social peut-être? Une chose me semble sure: Émile tente de survivre à l'absence de son père et heureusement, il le fait de manière fort créative et proactive, plutôt que de sombrer dans des pensées ou actions sombres.
C'est le genre de roman que j'utiliserais très certainement auprès de mes élèves, pour alimenter leur réflexion, leur perception et leur capacité à lire des textes plus poétiques. C'est un roman "beau", différent également, avec une inclinaison sociale, familiale et existentielle que je vois davantage en littérature adulte, d'ordinaire, mais que je me réjouit ici de retrouver en littérature intermédiaire.
C'est un roman relativement petit, mais compte tenu des thèmes impliqués, je suis d'avis qu'il trouvera plus de pertinence au troisième cycle primaire que le second, mais il pourrait intéresser les lecteurs de 8-9 ans matures et qui ont une nature sensible et philosophe.
Une belle trouvaille.
Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans.
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le 23 janv. 2023
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