Serge Toubiana est un célèbre journaliste et critique de cinéma français. Aussi connu pour son travail à la tête de la Cinémathèque française, il dirige aujourd’hui Unifrance, un organisme en charge de la promotion et de l’exportation du cinéma hexagonal dans le reste du globe. Le natif de Tunisie a longtemps vécu au côté d’Emmanuèle Bernheim, romancière et essayiste française, décédée des suites d’un cancer du poumon en mai 2017. Un événement tragique, une bombe à retardement dans la vie de Serge Toubiana, qui l’a poussé à publier Les bouées jaunes, chez Stock. Lettres it be a lu ce livre et vous en dit quelques mots.
La bande-annonce
« Durant les derniers mois de sa vie, un thème motivait secrètement Emmanuèle, dont elle me parlait à peine. C’était trop intime, difficilement formulable, même entre nous. Un jour, elle me dit qu’elle désirait écrire sur le bonheur. J’ignore ce qu’aurait été ce livre et je donnerai cher pour le savoir. Cette question du bonheur la hantait, elle la plaçait au coeur de tout. Le simple fait de poser la question prouvait sa force de caractère et son incroyable sérénité. J’en étais bouleversé. “Et toi, tu vas tenir ?” » Un homme écrit sur la femme qu’il a aimée et perdue. Emmanuèle Bernheim était un grand écrivain. Serge Toubiana raconte leurs vingt-huit ans de vie commune, dans un texte où la sobriété le dispute à l’émotion.
L’avis de Lettres it be
C’est une histoire d’amour comme les autres que raconte Serge Toubiana. Une maison de vacances au soleil, des baignades à n’en plus pouvoir, le regard amoureux de deux compagnons de route, peut-être plus amis qu’amants. C’est une histoire qui ferait un bon roman, un bon film, maintenant une bonne série. Sauf que cette histoire voit s’entrecroiser de grands noms du cinéma et de la littérature d’alors, de Deneuve à Houellebecq. Tout ça parce que nous sommes en présence de deux personnes qui brillent dans leur milieu respectif. Et pourtant, quand le cancer frappe, même au beau milieu des ors du milieu artistique, tout le monde est impuissant, cloué à la bonne volonté de la destinée. Ne nous reste plus qu’à pleurer et vagabonder quand le couperet tombe. C’est exactement cela que retrace Serge Toubiana dans son premier livre qui s’écarte un peu des salles obscures. Le voilà qui raconte comment sa vie est à son tour devenue une salle obscure où il regarde maintenant se diffuser nuit après nuit les souvenirs de l’être aimée.
On n’a pu reprocher à ce livre un certain égocentrisme, une complainte particulière dans l’océan de regrets que peut vivre le monde entier. Et pourtant, il se dégage une sensibilité différente sous la plume de Serge Toubiana, il se dégage quelque chose de plus avec cette envie de simplement raconter, dire et exprimer, comme une façon de garder encore un peu auprès de soi celle qui n’est plus. Nous ne sommes pas ici dans un récit qui n’a de récompense que les larmes versées. Parce que ce n’est pas le but. Parce que ce n’est pas à l’image d’Emmanuèle Bernheim. Ce que raconte l’auteur de ce livre, c’est le souvenir heureux d’un rayon de soleil, ce sont les paradoxes d’une relation fusionnelle, doucement, mais sûrement. Pas de grandes envolées, pas de grands sentiments, aucune recherche du bon mot. Serge Toubiana écrit le testament d’un bonhomme qui ne demande qu’à aimer encore.
Il n’est pas bienvenu de se satisfaire de la sombre destinée des autres pour apercevoir la lumière de la sienne. Ce livre, par cette disparition que raconte Serge Toubiana, nous pousse pourtant à cela, nous oblige à reconsidérer autour de nous toute la richesse des relations que l’on a prises trop vite pour banales. Regarder sa femme au réveil, son compagnon, ses enfants, ses proches et ses amis. Toujours, il nous faut éduquer ce regard à la lumière de ce que nous avons à perdre. Serge Toubiana, de son écriture humainement sobre, raconte cette histoire, son histoire. Difficile de ne pas être touché par cette histoire. Et pourtant, tout l’intérêt du récit n’est pas à trouver du côté du drame qui a pu se nouer entre Serge Toubiana et Emmanuèle Bernheim. Il est à chercher du côté de l’espoir, de cet amour qui dure toujours, bien qu’invisible, mais qui renaît ici entre ces centaines de pages. Un message, loin du banal, près du cœur. Merci, Serge Toubiana.
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