Figurant au line-up de de la collection à l'existence éphémère Points Fantasy, ce roman de Kerstin Ekman, auteur suédoise figurant au catalogue de l’excellent éditeur Actes Sud, est un peu passé inaperçu. Grave erreur cher lecteur, tant ce roman est une excellente surprise, un grand livre qui mérite un autre sort que de pourrir au fond d’une caisse d’un libraire surchargé par les nouveautés. Admirablement écrit et superbement traduit, ce roman s’inscrit dans la longue tradition du conte scandinave et ne manque pas de surprendre par une liberté de ton assez stupéfiante. Qu’on se le dise, ce roman écrit avec une apparente facilité et un ton quelque peu badin est en réalité bien plus grave et féroce qu’il n’y parait. L’histoire a le mérite de la simplicité et nous invite à suivre le parcours à travers les âges d’un jeune troll nommé Skord, du Moyen-Age jusqu’au XIXème siècle. Au premier abord, Skord n’est guère différent d’un enfant, son apparence un tantinet sauvage s’estompe au fil des années. Pourvu d’une rare intelligence et étranger à la morale des hommes, Skord est bien décidé à se faire passer pour un humain, mais pour cela il est obligé de ruser et de changer régulièrement d’identité, quoi de plus étonnant en effet, qu’un être humain qui reste toujours le même alors que les outrages du temps frappent les plus belles femmes et les hommes les plus illustres. Vivant dans ses premières années de vagabondages en compagnie de deux jeunes orphelins, il parcourt la Suède, devient le compagnon d’un homme de lettres, puis brigand ou bien encore alchimiste, il fera même la rencontre d’un Descartes vieillissant.
Le roman est d’une très grande richesse et d’une rare érudition, véritable rencontre avec une culture et une histoire longue de plusieurs siècles. C’est toute l’évolution d’un pays que retrace Kerstin Ekman à travers le parcours de Skord, celle de la disparition de l’ancienne tradition païenne au profit d’une culture judéo-chrétienne (protestante plus précisément). Le thème n’est pas nouveau, mais il est ici traité avec un talent, une subtilité et une maestria qui forcent le respect et ne peuvent manquer de remporter l’adhésion du lecteur. Certes, le roman est un peu lent, parfois un peu long et certains passages manquent de densité, mais c’est tellement bien écrit que l’on en tombe d’admiration. C’est beau, c’est grand, c’est suédois et non ce n’est pas Ikéa. Plus sérieusement, achetez ce roman, lisez-le et pleurez de bonheur.