J'ai lu ce livre dans l'édition José Corti, qui commence par 120 pages d'introduction, compilant les préfaces des éditions successives de Lautréamont. Préfaces qu'il est intéressant d'avoir dans l'ordre chronologique, pour voir l'évolution de ces questions sempiternelles sur cet auteur : comment en parler quand on sait si peu sur lui ? Etait-il fou ? Dans quelles conditions a-t-il écrit ce livre ? S'il avait continué, aurait-il écrit mieux, ou différemment, ou n'aurait-il rien produit du tout ?
Ce livre défie l'analyse pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'il s'auto-commente, dans ses choix de comparaisons, etc... Ensuite parce que même sa situation d'énonciation n'est pas du tout claire. Maldoror, le héros, est parfois décrit à la 3e personne, et parfois semble parler à la 1e personne, mais le narrateur se dissocie aussi de lui parfois. Enfin, la composition est très heurtée. On passe souvent sans transition de visions dignes de Dante, enfin d'un Dante parodié, délibérément avili ou outré, sur le parcours de dégradation morale de Maldoror à des monologues du narrateur, qui se met en scène en train d'écrire dans sa chambre que l'on devine dénudée. Autant dire que je souhaite bon courage à qui cherchera à introduire de la cohérence dans cet ensemble. Si vous aimez Mulholland Drive, lancez-vous.
Alors oui, il y a des fulgurances, "Vieil océan, tes eaux sont amères", et quantité d'autres pépites. Oui, c'est un livre qui vous remue, qui est toujours à l'orée de la folie complète, avec des métaphores et des images gratuites très cocasses, dont on comprend qu'elles aient fascinées et inspirées les surréalistes. Et pour moi Lautréamont est le seul poète XIXe qui peut utiliser des mots comme "abîmes" sans être ridicule.
Mais quand même, le chant IV, c'est très affecté, voire cabotin, et parfois laborieux. Et puis lu d'une traite, ça reste assez étouffe-chrétien.
Les chants de Maldoror, c'est un mélange de L'apocalypse de Saint-Jean (pour le côté décousu), d'Edgar Allan Poe (pour les trouvailles macabres), de Dante (pour l'aspect visionnaire), de Coleridge (pour les fulgurances) et de poète de l'absurde.